Le roi nu

Chroniques d'actualité, avec des attributs royaux qui pendouillent.

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  • Du coup le roi nu gagne du temps

    Le roi nu est débordé de trucs à faire. Et ça urge ! S’il n’a pas fini ces trucs avant la deadline, la Terre va s’arrêter de tourner. Non, n’exagérons pas. Disons que le royaume va s’arrêter de tourner. Et si le royaume s’arrête de tourner, plus de roi, bien sûr. Et ça, le roi nu n’en veut pas, mettez-vous à sa place, un peu d’empathie que diable.

    Du coup il dit à tous les miministres de mettre les bouchées doubles pour finir avant la deadline.

    – Bougez-vous les fesses ! Et que ça saute, fissa,  dit le roi nu.

    Mais les miministres ont la flemme de mettre les bouchées doubles (sauf au restaurant) parce que ça n’a pas de sens. Du coup, comme le temps ne fait rien à l’affaire, la deadline se rapproche inéluctablement. Du coup le roi nu n’ayant plus de temps à perdre décide de gagner du temps en le suspendant. Le roi nu suspend alors le temps sur le fil de l’Histoire et la deadline est repoussée aux calendes grecques. Il suffisait d’y penser !

    – Décidément, je suis encore plein de ressources, songe le roi nu, content de lui.

    Mais du coup, le temps sèche sur le fil de l’Histoire et meurt, car pour vivre, il a un besoin naturel de couler, et là, il ne peut plus couler tranquillement des jours heureux à cause de la deadline.

    Du coup, c’est très dangereux car un temps sec suspendu sur le fil de l’Histoire est un matériau très inflammable, contrairement à un temps mouillé qui coule des jours heureux dans son lit de galets.

  • Du coup le roi nu veut tout bloquer

    Le roi nu vit dans une grosse machine du matin au soir. Sur cette grosse machine, sont branchées des petites machines en compagnie desquelles il passe sa journée. Ça commence le matin avec la machine à se réveiller, puis la machine à se laver, puis la machine à boire un truc chaud et amer, puis la machine à connaître les malheurs du bout du monde, puis la machine à emmener les enfants à l’école et à aller de la maison au travail (en écoutant une autre machine à connaître les malheurs du bout du monde), sans oublier de s’arrêter à la machine à s’arrêter et patienter, puis la machine à monter au travail, puis la machine à travailler, puis la machine à rester en lien avec ses proches éloignés, la machine à répondre aux questions dont on ne se souvient plus des réponses, et ça continue comme ça jusqu’au soir où il s’endort devant la machine à se coucher tard après avoir mangé un truc réchauffé dans une machine à réchauffer les trucs à manger.

    Du coup le roi nu est devenu vachement copain avec toutes ces machines parce-que quand on vit tous les jours avec des trucs, on est bien obligé de devenir copain avec eux sinon ça n’aurait pas de sens. Du coup, comme ils sont copains, les machines lui demandent plein de trucs et comme les machines sont des machines, elles lui parlent dans leur langue, à savoir en « langage machine » et c’est comme ça que le roi nu a naturellement appris à parler le « langage machine ». Du coup maintenant il a presque oublié sa langue maternelle. Du coup, à force de parler le « langage machine » il a été adopté par les machines et du coup, il s’identifie tellement à elles qu’il est devenu lui-même une sorte de machine ; une machine avec des attributs royaux qui pendouillent.

    Tout irait pour le mieux si ça se passait bien. Seulement voilà, le roi nu est bien obligé de s’avouer parfois que tout ne se passe pas bien : Il dort trop peu, mange trop, ne rit plus que par stimuli grossiers, ne sait même plus ce que c’est que chanter, est bien incapable d’échanger plus de trois mots avec les gens du quartier. Il sait vaguement que ce n’est pas normal, mais porté incessamment d’un machine à l’autre, il n’a guère le temps d’y penser.

    Ce matin, en patientant à la machine à s’arrêter et patienter, le roi nu a lu un poème sur un mur qui lui a rappelé sa langue maternelle et s’est mis à pleurer parce que ça lui a rappelé des sensations émouvantes. Du coup, le roi nu est en colère contre les machines qui lui ont fait oublier sa langue maternelle et veut bloquer les machines.

  • Du coup le Roi Nu rencontre le Pape Nu

    Ce matin, le Roi Nu est allé rendre visite à son ami le Pape Nu pour le féliciter de sa récente élection et faire de l’entre-soi entre gens nus. Parce-que parfois, ça fait du bien de se retrouver entre gens normaux, nus et supérieurs. Avec les autres, les pas-normaux, ceux qui sont habillés, la relation semble toujours biaisée ; le Roi Nu a beau essayer de les mettre à l’aise, de leur dire que ça ne le gêne pas qu’ils soient habillés, qu’il est très ouvert et inclusif et woke… rien à faire, il sent en eux comme une retenue.

    Du coup, le Roi Nu est devenu très ami avec le Pape Nu, qui a le même problème. Ensemble, ils oublient la complexité des relations humaines. Tout est plus simple entre eux, sans chichis ni anicroche ni arrières-pensées. Des amis.

    – Salutus Papam et Ave Maria, Urbi et Orbi et Tutti Quanti ! s’écrie le Roi Nu en apercevant le Pape Nu et ses attributs papificaux qui pendouillent.

    – Qu’est-ce que c’est que cette bagnole ? répond le Pape Nu. T’avais pas un SUV ?

    – J’ai changé pour un 4×4 le mois dernier. Je me sentais à l’étroit, et comme le prix de l’électrique équitable a baissé…

    – Bonne idée ! Faudra que je fasse pareil avec ma Papabagnole. J’ai vu à la télé que l’électrique équitable, c’est vachement bien pour-sauver-la-planète et erradiquer-la-faim-dans-le-monde.1

    – S’il l’ont dit à la télé, c’est sûrement que c’est vrai.

    Du coup, le Roi Nu et le Pape Nu se promènent bras dessus bras dessous dans les jardins papificaux, le Pape papotant et le Roi radotant, heureux de goûter au joies simples de l’amitié sous le soleil de ce début d’été.

    – Je te trouve l’air soucieux, dit le Roi Nu.

    C’est vrai que le Pape Nu est soucieux. Il a beau célébrer des cérémonies longues et colorées, écrire des textes longs et intelligents, laver les pieds sales des pauvres en public et recevoir les riches en audiences privées, rien n’y fait : Les guerres font fortune à la bourse du temple, la misère se répand sur les routes et coule dans les mers, et la création divine, depuis celle du premier jour jusqu’à celle du sixième, renonce à l’aventure.

    – J’ai l’impression de ne servir à rien. Je crois que je fais un bore-out.

    – Un burn-out !

    – Non, un bore-out. C’est quand on s’ennuie et qu’on ne sert à rien.

    Du coup, le Roi Nu se demande si lui aussi, ne sert à rien. Du coup, il se dit qu’on s’en fout mais que ce qui serait surtout embêtant, c’est si les concisujets se mettaient à penser qu’il ne sert à rien. Ce serait terrible ! Terriblement terrible !

    Du coup, le Roi Nu décide qu’il prendra deux fois plus de décisions dorénavant pour être sûr de continuer à avoir l’air de servir à quelque-chose. « Deux précautions valent mieux qu’une », disait feu mon Roi Père. Mais prendre deux fois plus de décisions représente beaucoup de travail. Du coup, il demande conseil à son miministre des gros écus.

    – Scott, comment puis-je faire pour doubler mon nombre de décisions sans trop me fatiguer ?

    – C’est simple, Majesté, je vous suggère de prendre chaque jour des décisions d’annulation des décisions de la veille.2

    – Excellent Scott ! Vous êtes un génie.

    – Merci Majesté [petit temps de réflexion], mais non, c’est vous.

    – Je sais, c’était pour voir.

    Du coup, le Roi Nu double le nombre de ses décisions pour que les concisujets continuent de ne pas se rendre compte qu’il est inutile.


    Episode initialement publié dans le Petit Nontronnais de juin 2025


    1. Le nouveau Pape Léon XIV a utilisé, pour la première fois aujourd’hui, une « papamobile » 100% électrique, un 4×4 Mercedes-Benz Classe G EQ de trois tonnes. Il a dénoncé une économie qui « exploite les ressources de la Terre et marginalise les plus pauvres » au cours de la messe d’inauguration de son pontificat. 18 mai 2025. ↩︎
    2. Après avoir dégainé de très lourds droits de douane, Donald Trump rétropédale quelques jours plus tard et les annule. Le ministre américain des Finances, Scott Bessent, a défendu la politique tarifaire tumultueuse du président Donald Trump, comme un moyen de créer une «incertitude stratégique». 27 avril 2025. ↩︎
  • Oraison funèbre de Benj

    Libre et radical comme le vent des steppes, vivant et dur au mal comme un hêtre en hiver, tu passes par le chas d’une aiguille et grignotes ta montagne une pédale après l’autre.
    Tu t’abreuves aux fontaines des villages accrochés. Tu plonges ton regard dans le sourire d’un vieux, édenté sur son banc, sous la treille de sa vie.
    Tu bivouaqueras ce soir au replat d’un adret, loin des lumières des villes et bagnoles honnies.

    Généreux, affectueux et sobre comme une bourrique, tes désirs simples échappent aux profiteurs de guerre.
    Tu glanes aux marges des routes ta nécessité stricte aux vergers défilants.
    Bâtisseur résolu de pentagones utopiques, esthète entêté de lenteur à vélo, mécano méthodique à coucher Deore, tu combats la vitesse et ignores les compteurs.
    Tiens ! Une chèvre au fossé t’accompagne un moment ; elle aussi a passé la clôture et gagné l’horizon.

    Tu es déserteur autoproclamé de la guerre économique. Tu sabotes à toute heure, le moteur emballé du cancer planétaire.
    Tu te fais pourfendeur des chimères contemporaines, des hypocrisies mafieuses, des colonies de béton, des pouvoirs en tous genres, petits et grands fascismes, civils ou uniformes.
    Tu accouches à tes heures de néologismes subversifs ; résistant sémantique aux systèmes systémiques.
    Tu fais enfin une pause à l’ombre d’un figuier. Les enfants attroupés viennent toucher ton vélo. Dans quinze ans l’un d’entre eux verra enfin la mer, et nous aurons gagné.

  • La recyclerie

    La recyclerie fait partie de ces îlots qui préfigurent le monde d’après et j’ai besoin de participer à sa réalisation concrète, palpable, pour des raisons de survie mentale. Le monde d’après s’interface avec mon propre corps quand il faut porter du lourd, nettoyer du crado, réparer du déglingué ; plein de choses pas instagramables par une influenceuse en voyage à Dubaï. Et le corps sauve l’esprit car c’est lui le chef.

    À contre-courant du gigantisme, du jetable, de l’éphémère, de l’algorithmique infaillible à haute fréquence atomique, bref, de la bêtise asensible de notre monde d’avant qui n’en finit pas de crever en se donnant des airs de vainqueur, la recyclerie m’invite à arrêter tout (mes achats neufs) et à réfléchir (à ce qui compte vraiment). Ce bénévolat est une aventure collective tout autant qu’individuelle, qui nous émancipe de nos servitudes, et par là, sabote notre allégeance au monde d’avant, l’affaiblissant d’autant, hâtant sa chute. L’espoir fait vivre.

    A la recyclerie, les chaises dépaillées discutent avec les vélos grippés et s’émoustillent à l’idée de retrouver les popotins de leur jeunesse ; vocation commune. Les assiettes répareillées s’impatientent de retrouver, qui des rognons au Porto dans son riz long, qui une salade de coin de table à la vinaigrette industrielle (pitié non !), qui un mafé du pays, non pas la recette Bambara, Sérère plutôt, qui un gratin de restes du dimanche soir, qui une moussaka brûlante, qui un œuf à la coque à mouillettes beursalées. (J’ai trouvé une râpe à fromage trois faces, parfaite pour les pizzas entre amis). A la recyclerie, les robes rêvent de se déhancher en reluquant dans le rayon musique un CD de Nirvana, tandis qu’un lampadaire radote auprès d’une cafetière : « de mon temps, sans toute cette électronique… »

    A la recyclerie, l’amitié est l’instrument, la liberté le métronome, l’objet la mélodie… et le bâtiment la salle de concert. Sans bâtiment pérenne et adapté, pas de concert. Pérenne et adapté, c’est ce qu’il faut pour s’ancrer et ne plus risquer de se faire éparpiller par les vents du monde d’avant. L’heure est à cette étape, condition sine qua non d’une rationalisation accrue, d’une viabilité économique consolidée, de l’atteinte d’une taille critique de l’équipe. C’est comme ça que j’imagine la suite : un cadre sécure et adapté pour un déploiement encore plus profitable aux habitant-es du territoire nontronnais.

  • Du coup le roi nu prépare la paix

    Le roi nu aime beaucoup la guerre parce-que tu seras un homme mon fils disait son père qui le tenait de son père. Un homme avec des attributs royaux qui pendouillent s’entend. Et puis la guerre, ça permet d’avoir des médailles glorieuses de la patrie reconnaissante, son nom gravé au cœur du village et pas seulement au cimetière, et même pour les meilleurs d’entre nous, une statue équestre en bronze avec des vrais pigeons qui chient dessus. Et puis la guerre, c’est beaucoup plus simple à gouverner. Pas besoin de s’embarrasser en longues palabres et encore moins rendre des comptes. La guerre c’est comme un grand tapis où on peut planquer tout ce qu’on veut sans que personne ne vous cherche des poux dans la couronne. Oui, un tapis de bombe avec des motifs à fleur au fusil.

    Du coup, depuis quelques temps, le roi nu ayant beaucoup de choses à mettre sous le tapis, aspire à la guerre comme un soiffard à sa gourde. Du coup, il prépare la paix car si vis bellum para pacem disait son père qui le tenait de son père.

    Du coup, en bon serviteur d’un royaume dont la devise est « Ordo et Incrementum », le roi nu prépare la paix en fabricant plein de canons à intelligence algorithmique, de missiles longue portée supersoniques à contre-mesures conservatoires, d’avions de chasse à courre de bio-kérosène pour-sauver-la-planète, de sous-marins nucléaires d’attaque pour dissuader la dissuasion des autres sous-marins d’attaquer, de fusils-mitrailleurs à visée nocturne connectée en IP fixe sur un proxy aléatoire, et bien sûr, de drones à télécommande biométrique pilotés par des AI (Artificiers Intelligents).

    Du coup, tout ça est très bon pour la Croissance vers l’infini et au-delà et donc pour l’emploi qui est la priorité des priorités pour obtenir de l’Ordre. Il est content le roi nu.

  • Du coup le roi nu fait feu de tout bois.

    Ce matin, le roi nu se promène dans les bois pendant que le loup n’y est pas. Les mains dans le dos, les attributs royaux qui pendouillent, les yeux plissés par le soleil rasant de l’hiver, il arpente le chemin qui descend à la rivière, humant la mousse, les cèpes, le vent. À ses côtés, son miministre des gros écus.

    – Bruno, n’est-ce pas vivifiant ? Quel dommage qu’une telle promenade ne soit pas comptée dans la comptabilité royale pour produire de la Croissance. Quand je pense à tous nos concisujets qui se promènent également. Quel gâchis !

    Car la Croissance est le souci numéro un du roi nu, même lors de ses promenades matutinales.

    Comme chacun sait, la devise du royaume est « Ordo et Incrementum ». Ordre et Croissance. Les historiens royaux se perdent en conjecture pour savoir lequel de l’Ordre ou de la Croissance précéda l’autre au cours de l’évolution royale. Car l’Ordre et la Croissance sont désormais liés l’un à l’autre tels un œuf et sa poule. Ou l’inverse.

    Le vrai nom de la Croissance est « la Croissance vers l’infini et au-delà ». Mais par commodité, on dit la Croissance. D’autant que la terminologie complète fait elle-même l’objet de conjecture de la part des métaphysiciens royaux, certains doutant de la possibilité d’un au-delà de l’infini sachant que l’infini est réputé déjà très long, surtout vers la fin. Quant à l’Ordre, son origine provient de la maxime populaire « l’Ordre et la Propreté sont les deux mamelles du royaume ». Mais des motivations patriarcales n’ont retenu que l’Ordre, et remisé la Propreté hors de la devise royale.

    – Hélas Majesté, il n’est en effet pas possible de comptabiliser les promenades dans les bois dans le Produit Royal Brut, car elles ne font pas l’objet de factures. Nous devons nous y résoudre. Le principe édicté par vos ancêtres est simple et intangible : « Vous pouvez faire n’importe quoi, tout et son contraire, les pires conneries… À l’arrivée, ça fait toujours de la Croissance du Produit Royal Brut, si et seulement si c’est facturé. »

    – Certes Bruno. Mais vous savez comme moi combien nous manquons de Croissance ces temps-ci. Sans Croissance, nos concisujets ne tarderont pas à douter de notre religion royale pour le progrès universel vers l’infini et au-delà. Nous sommes parvenus in extremis à leur faire croire que ma nudité participe de l’esprit de fête olympique moyennant un peu de peinture bleue, mais sans Croissance, je ne donne pas cher de notre royaume.

    – Majesté, répond Bruno, je connais une solution idéale. Sans me vanter, vous me connaissez, la modestie est ma principale qualité, je pense avoir résolu la quadrature du cercle.

    – Et bien, qu’attendez-vous Bruno ! Cessez de tourner autour du trône ! Qu’est-ce donc ?

    – Voilà : Nous pourrions raser les forêts du royaume. C’est facturable. Suite à cela, nous pourrions implanter des panneaux solaires à la place. C’est également facturable. Nous ferions d’une pierre deux coups. Un formidable vivier de Croissance ! Et cerise sur le gâteau, vos concisujets ne pourront plus se promener dans les bois ; finis le gâchis et l’oisiveté !


    Episode initialement publié dans le Petit Nontronnais de décembre 2024

  • Du coup, le roi nu renouvelle le cheptel.

    Les miministres ont une durée de vie limitée à cause de l’obsolescence programmée générale pour fabriquer plus de Croissance vers l’infini et au-delà. C’est une convention acceptée. Plutôt que de prendre le temps de faire des choses intelligentes, et puisque faire des choses idiotes produit plus de Croissance, la dynastie du roi nu a fait le choix de ne pas s’embarrasser et de faire des « âneries à Croissance ». Malgré tout, faire des ânerie engendre par nature des incompréhensions et des mécontentements.

    Du coup, il faut changer les miministres pour que les mécontents ne sachent plus où donner de la tête. Du coup le roi nu renouvelle régulièrement son cheptel de miministres à obsolescence programmée. Et ça passe crème.

    Du coup, il a besoin de beaucoup de miministres et il a fait construire une méga-ferme à miministres qu’on appelle la ferme aux mille miministres. C’est une méga-ferme ultra moderne où les miministres sont entassés dans une méga-stabulation avec nettoyage automatique des excréments sur caillebotis, apports nutritionnels calibrés grâce à une vis sans fin branchée sur le silo à bouffe, ventilation et éclairage pilotés par intelligence artificielle à reconnaissance thermique des cycles biologiques, vaccinations saisonnières robotisées et antibiotiques à rétroaction comminatoire. Afin d’optimiser les coûts de production, la densité de miministres dans la méga-stabulation a été poussée au maximum, ce qui peut engendrer de l’agressivité entre individus, donc pour parer à tout risque de blessures, on procède dès l’âge de huit ans au limage des canines et autres dents trop longues. Par ailleurs grâce à une méthode innovante de sélection des gamètes et insémination artificielle, la variabilité génétique du cheptel de miministre a été réduite à zéro virgule zéro zéro deux pourcent, condition sine qua non pour s’assurer sans risque d’une continuité dans les changements gouvernementaux.

    Hier, une fois encore, le roi nu a renouvelé son cheptel de miministres. Les concisujets ne voient pas la différence mais puisqu’on leur dit qu’il y a du changement dans la continuité…

  • Du coup, le roi nu passe des vacances de merde

    Le roi nu aime bien les vacances. Pour commencer, c’est l’occasion de montrer à tout le monde son nouveau SUV hybride-pour-sauver-la-planète, dans les bouchons de l’autoroute, depuis le palais jusqu’à la mer des noyades. Le roi nu met le bras à la portière pour bronzer son bras gauche et salue amicalement les concisujet qui lui répondent d’avancer hé fada tu la pousse ta poubelle.

    En vacances, tout est plus relâché : le temps, les mœurs, le réveil.

    Le roi nu aime bien aller à la mer pour aller à la piscine parce-que la piscine au bord de la mer c’est mieux qu’à la ville ou à la campagne et les poissons baisent pas dedans avec les concisujets et les noyés. Du coup le roi nu glandouille au bord de la piscine, avec ses attributs qui pendouillent, à siroter des kirs royaux. Mais le problème c’est que maintenant, il y a des visioconférences pour télétravailler à la piscine.

    — Qui est-ce qui m’a foutu des visioconférences tous les jours ? Peste-t’il. J’ai dit que je voulais faire une trêve !
    — Majesté, lui répond le Chambellan, c’est une invention récente merveilleuse pour améliorer la croissance du progrès universel vers l’infini et au-delà. Avec cette géniale invention, il n’y a plus de trêves pour personne dans le royaume.
    (En fait, le roi nu voulait faire une trêve parce-qu’avec toutes ces nouvelles technologies, le roi nu a pris un coup de vieux)

    Du coup, le Chambellan présente au roi nu sa tablette royale dématerialisée-pour-sauver-la-planète avec du lithium chilien.

    — Majesté, vous avez ce matin une visioconférence avec votre directeur de cacabinet au sujet de la nomination du nouveau premier miministre.
    — Ras-le-bol ! Je veux pas changer, répond le roi. Celui-là est encore bien assez jeune et de toutes façons les concisujets n’ont pas voulu d’un encore plus jeune que je leur ai proposé.
    — Majesté, intervient le directeur de cacabinet dans la visioconférence dématerialisée, nous avons trouvé une première miministrable très jeune et toute neuve sans casserole ni rien.
    — Il suffit Alexis ! Cessez de me parler de tous ces jeunes. Trouvez-moi un plus vieux, et que ça saute !

    Du coup le roi nu va bientôt trouver un premier miministre plus vieux pour paraître plus jeune, mais il a quand même passé des vacances de merde à cause des visioconférences dématérialisées au lithium.

  • Du coup, le roi nu embrasse l’idiot qui regarde le doigt

    Le roi nu est un champion hors catégorie. Meilleur joueur du monde. Le meilleur dans son domaine. Et modeste avec ça. C’est bien simple, il gagne tout. Tout ce qu’il touche se transforme en or, même les ballons bizarres. Mais il est modeste. Il a un gentil sourire. Un vrai gentil sourire. Un vrai modeste. Un vrai généreux. Un besogneux. Et beau avec ça ! Une vraie beauté profonde qui vient de loin. Pas une beauté de façade non, pas une beauté standardisée comme un Ken blondasse en plastique ; une vraie beauté d’un vrai gars qui a passé l’essentiel de sa vie à transpirer dans la gadoue, sur des terrains gelés ou sous un soleil de plomb. Pas un gars de bureau. Un gars de la terre. Ou un gars du béton. Un gars dont la mère faisait des gâteaux le dimanche pour apporter au stade. Un gars dont la grande sœur lui faisait la lecture le soir. Un gars dont le père bossait dans un vrai métier, à la sueur de son front, et partait tôt pour nourrir les gosses. Un gars dont les gars du village ou du quartier sont les potes d’enfance. Un gars qui sait d’où il vient quoi. Un gars comme nous. Mais un gars qui a reçu un talent pas banal à la naissance et dont le talent a fructifié pile-poil au soleil d’une famille, d’un village, d’un quartier. Et à la fin, il est devenu le meilleur du monde. Mais modeste. Ah oui, besogneux aussi.

    Du coup le roi nu champion du monde est adoré par tout le monde. Les concisujets l’aiment comme un dieu qu’ils portent à leurs yeux, à leurs oreilles, à leur bouche, pour communier à son talent, célébrer ses victoires. Un dieu qui nous dit que le talent de chacun, ça a besoin d’un bon terreau d’amour et de stabilité pour bien pousser mais que c’est ce terreau qui est rare. C’est pour ça que les concisujets l’adorent, c’est parce qu’il est porteur de l’espoir d’une vie simple, modeste, besogneuse certes, mais sécure, aimante, stable et amicale pour tout le monde, les petits, les gros, les bancals ; où chacun peut laisser s’épanouir ses talents d’enfants jusqu’à la mort de vieillesse sans être entravé par un père alcoolique, une mère folcoche, un prof sadique, un patron rapiat, des filles goriotes. Une rareté. Mais le roi-nu-dieu-du-stade prouve que ce qui est rare est possible, et ça, les concisujets y tiennent. D’où l’espoir.

    Du coup le roi nu est un dieu du stade, auréolé d’une aura imprescriptible. Du coup tous les présidents et journalistes et autres tronches de cake, l’embrassent devant les caméras pour gratter un peu de son aura, de sa légitimité, de sa vérité. Du coup le roi-nu-dieu-du-stade les embrasse parce-que c’est un modeste souriant, un gentil, un besogneux. Mais en fait, ils grattent rien les idiots tronches de cake. Tout ce qu’ils peuvent gratter c’est de la jalousie, parce-qu’au moment où ils embrassent le roi-nu-dieu-du-stade, ils comprennent à quel point ils ne sont et ne seront jamais que des tronches de cake. Eux.

  • Du coup le roi nu est dedans jusqu’au cou

    Tôt ce matin, en sortant du palais pour faire sa promenade, le roi nu a marché dedans. On pourrait croire que c’est un présage de bonheur, mais pour être parfaitement exact, votre chroniqueur doit vous préciser que le roi nu est plutôt tombé dedans jusqu’au cou, ce qui est plutôt un présage de complications.

    — Mais qu’est-ce que c’est que cette horreur? dit le roi nu. Qu’est-ce qui m’arrive?

    Pauvre roi nu! C’est pas de chance. Lui qui est si propre sur lui, toujours tiré à quatre épingles, brillant comme un sous neuf, parfumé à la vanille de l’île Bourbon et les cheveux gominés. Lui qui fait faire le ménage du palais tous les jours. Faut que ça brille! Et même dans les jardins, il faut que rien ne dépasse, que les buissons soient taillés au cordeau et la pelouse toujours rase et sans aucune feuille morte. Comme ça c’est propre. Si ça dépasse c’est sale, c’est bien connu. Les autres, les petites gens, ils sont sales, c’est dans leur nature, ils sont irrécupérables, c’est bien connu aussi. Mais lui, c’est le roi, il doit montrer qu’il est le plus propre. Et depuis qu’il est nu avec ses attributs qui pendouillent, il doit redoubler de propreté.

    Le roi nu ne l’avouera jamais, pourtant, lui aussi fait… enfin va à la… Non, ne dites rien. Mais vous voyez de quoi je parle. La commission. Tous les jours ou presque. Et toute la famille royale aussi. Et les chevaux, et les cuisinières, et les valets et majordomes et chambellans, et les poules et canards de la basse-cour, et la meute de bassets pour la chasse à courre, et les femmes de chambres, et les jardiniers, et les palefreniers, et le bouledogue de la reine-mère, et les chauffeurs de carrosses à dorures, et les gardes royaux, et les charpentiers-zingueurs, et les tailleurs de pierre pour restaurer les vingt-trois cheminées, et les peintres officiels, et les musiciens, et les préceptrices, et les bucherons, et les visiteurs du palais pourtant triés sur le volet. Tous ils font… enfin vont à la… Non, ne dites rien. Mais vous voyez de quoi je parle.

    Du coup, cette nuit, ça a débordé tout autour du palais. A force de remplir les trônes de chambre depuis des générations et de vider, et d’enfouir, et de pousser, et de tasser, et de cacher ni vu ni connu dans des fossés, des citernes, des cuves, derrière des palissades, avec des bougies à la citronnelle tout autour ; ça a dû fermenter, et ça a débordé, et explosé, et dégoulé partout. Et en sortant tôt ce matin, le roi nu est tombé dedans jusqu’au cou.

    — À l’aide! A moi! Au secours! Crie le roi nu.

    Du coup, les gens du palais regardent discrètement par les fenêtres et sont bien gênés de voir le roi nu dedans jusqu’au cou car ils savent que ça ne va pas lui plaire. Du coup, ils vaquent à leurs occupations comme si de rien n’était. Et le roi reste dedans jusqu’au cou. Peut-être qu’au fond d’eux, ils se disent qu’ils sont un peu pour quelque-chose dans la situation. Peut-être qu’au fond d’eux, ils espèrent que comme tout le monde est responsable, s’ils font comme si de rien n’était, quelqu’un d’autre sera responsable. Peut-être qu’au fond d’eux, ils croient qu’en vaquant à leurs occupations comme si de rien n’était, la situation va se réparer toute seule. Peut-être qu’au fond d’eux, quelque-chose leur dit que si le roi est dedans jusqu’au cou, sale comme c’est pas permis, il est un peu moins le roi finalement. Après tout, peut-être même que les attributs royaux qui pendouillent sont perdus à jamais dedans. Et dans ce cas! Ouh là là! Mieux vaut ne pas y penser.

    Et le roi reste dedans jusqu’au cou appelant à l’aide ; et personne ne vient.

    En fin de matinée, arrive du village une jeune et belle lavandière poussant une brouette de draps.

    — Oh! Pauvre Majesté! Tenez, attrapez ce bâton que je vous tire de là. Voilà. Maintenant, venez par ici, il y a un jet d’eau. Voilà, tournez-vous. C’est mieux. Tournez-vous encore. Tenez, voilà du savon. Frottez bien. Oui, les attributs royaux qui pendouillent aussi. Vous en faites pas, j’en ai vu d’autres. Voilà, je vous rince. Tournez-vous encore. Voilà une serviette, essuyez-vous. Parfait, maintenant voilà de l’eau de rose que j’ai distillée moi-même et que j’ai toujours sur moi. Bien. Vous êtes magnifique!

    Du coup le roi nu est tout propre, et n’est plus du tout dedans jusqu’au cou. Du coup il tombe amoureux de la jeune et belle lavandière et les histoires d’amour à l’eau de rose deviennent très en vogue au palais pour continuer de faire comme si de rien n’était.


    Episode initialement publié dans le Petit Nontronnais de mai 2024

  • Du coup, le roi nu va construire ni un barrage

    Ce matin, le roi nu a croisé son miministre des gros écus.

    — Majesté, le royaume est à sec.
    — Comment ? Que dites-vous Bruno ? Comment est-ce possible ?
    — A force de tout pomper et de pomper tout le monde, Majesté, le royaume est à sec et à cran.
    A tout problème il y a une solution disruptive, disait feu mon père. Nous trouverons une solution.

    Sur les entrefaites, le roi nu descend au ruisseau se rafraîchir car la journée est orageuse. Il aime s’y rendre pour observer les castors restaurer la zone humide en contrebas du palais. Très ingénieux, ces animaux construisent des barrages aux vertus écologiques multiples : renforcement des berges, régulation des débits d’eau, soutien aux nappes phréatiques, captage de carbone, développement de la biodiversité… Après des décennies d’éradication, le castor fait son retour dans le royaume et le roi nu s’en félicite.

    — Enfin une bonne nouvelle ! s’écrit le roi nu.

    Du coup, après quelques rêveries au bord de l’eau :

    — Ces barrages sont la solution ! Mon royaume est à sec et à cran à force de tout pomper. Faisons comme le castor, mettons-y un barrage. Et hop ! C’est parti mon kiki ! Ni vu ni connu je t’embrouille ! Emballez c’est pesé ! Et que ça saute ! Décidément, je suis un génie.

    Du coup le roi nu fait venir son miministre de la transition vers le monde d’après.

    — Christophe, il nous faut mettre un barrage dans le royaume, car il est à sec et à cran.
    — Excellente idée majesté. Mais heu, comment dire ?
    — Christophe, ne tournez pas autour du trône.
    — C’est à dire Majesté, que nous autres humains, sommes moins capables que les castors de faire des ouvrages d’art si efficaces à tous points de vue.
    — Et pourquoi donc ? demande le roi nu. C’est vexant.
    — C’est à dire que, heu…
    — Allons Christophe ! Accouchez !
    — Soit Majesté. C’est à dire que nous ne sommes pas dotés d’une queue plate, tout simplement ; cela fait toute la différence.

    Du coup le roi nu va plutôt construire ni un barrage.

  • Du coup, le roi nu n’arrive pas à refiler la patate chaude

    Depuis toujours, le roi nu aime bien tripoter les boutons. Il ne sait pas pourquoi il aime ça. Parfois, il sait à quoi les boutons servent, comme pour allumer la lumière, mais la plupart du temps, il ne sait pas à quoi ils servent. Mais il sait qu’ils servent à quelque chose. Du coup, c’est excitant de les tripoter pour deviner. Du coup, il tripote tous les boutons qui lui tombent sous la main, comme ceux de la machine à laver à triple programmateur d’obsolescence, ceux de son SUV hybride-pour-sauver-la-planète, ceux du volet automatique de la baie vitrée du salon à télécommande universelle sans bouger du canapé. Il tripote aussi ceux du tableau électrique et du compteur du palais et ceux des tableaux de contrôle des usines de boites de sardines et autres usines comme les télévisions, les tractopelles, les écoles et les centrales nucléaires.

    Avant l’électricité et l’électronique, il aimait aussi tripoter les mollettes, les boulons et les targettes. Il aime toujours ça mais il préfère encore plus tripoter les boutons parce-que c’est moins fatiguant que de tourner des manivelles. Et puis maintenant, avec le progrès de la croissance verte, on peut désormais aussi tripoter des écrans, des souris et mêmes des icônes et des raccourcis dans le cloud et c’est rigolo aussi parce qu’on ne comprend pas toujours ce qu’on fait même si en vrai, ça peut faire dérailler des trains, couper l’électricité d’une ville entière ou le chauffage d’un hôpital.

    Depuis quelques temps, à force de tripoter tous les boutons du royaume, la patate macroéconomique-et-sociale est chaude. Trop chaude. Du coup, il veut refiler la patate chaude aux autres. Du coup, les autres disent ouais carrément parce qu’ils ont les crocs et parce qu’ils en ont tellement rêvé de cette patate ! Mais là, elle est à moitié cramée… Du coup personne ne veut qu’on lui refile la patate chaude mais il ne faut pas le dire.

  • Du coup, le roi nu panique dans la cornérisation

    Cette semaine le roi nu a joué à saute-mouton avec ses miministres et ses dédéputés et c’était rigolo de les voir sauter un à un dans le pré si vert en cette saison printanière mais des chiens de berger allemand sont arrivés et leur ont couru après en aboyant et du coup ils se sont fait cornériser dans un coin de clôture et le roi nu et ses miministres et dédéputés se sont tous mis à paniquer dans la débandade parce-que les saute-moutons n’aiment pas les chiens de berger allemand et ils se sont tous mis à s’affoler et dans l’affolement général de perdre leur place dans le pré ils ont tous dit que les autres c’est des traîtres et qu’ils sont indécents et des extrêmes du désordre woke de la cancel culture et que c’est du délire total et du foutage de gueule et des purges et d’autres noms d’oiseaux réservés aux gens bien élevés dans les grandes écoles du royaume alors que dans les petites écoles on se traite plutôt d’enculés ou de fils de pute mais eux sont bien élevés et pas violents et du coup ceux qui ont du pognon se sont mis aussi à paniquer pour leur pognon dans la bourse et les taux d’intérêt et ceux qui ont pas de pognon ont paniqué aussi mais à cause de leur couleur trop colorée ou de leur sexe d’identité ou de la façon dont ils l’utilisent ou les trois à la fois et du coup le roi nu veut plus jouer à saute-mouton mais c’est trop tard.

  • Du coup, le roi nu vote utile.


    Ce matin, le roi nu se promène le long des douves du palais, d’humeur mélancolique. Les bras dans le dos, le front soucieux, les attributs royaux qui pendouillent, les yeux absorbés par l’ondoiement nonchalant des carpes sacrées. Une tradition dynastique interdit depuis des siècles de pêcher quoi que ce soit dans les douves du palais (une vague légende de bébés noyés du temps des roinulingiens). Du coup, les carpes sont énormes et certaines, plus vieilles que lui.

    Cette tradition contrarie le roi nu car il préfère les carpes farcies à la poitrine de porc, œufs de caille, girolles, vin blanc sec, cerfeuil, fleur de sel de Noirmoutier, échalote, pain au levain et vraie crème fraîche (celle avec la cuillère qui tient toute seule dedans). Quand il était petit et qu’il traînait dans les jupes de Rosalie, la cuisinière, il aimait qu’elle lui dise : « Rends-toi utile, lèche la cuillère de crème fraîche ». Depuis, il aime bien les choses utiles.

    Aujourd’hui c’est jour de vote. Le roi nu n’a jamais bien compris pourquoi on lui demande de voter. Après tout, il est le roi !

    — Majesté, c’est l’heure d’aller à l’urne, lui dit le Chambellan. Vos concisujets ne comprendraient pas que vous n’alliez pas à l’urne.

    — Quelle corvée, Amédée. Pour qui dois-je voter ?

    — Suivez votre instinct, Majesté. Ne vous posez pas trop de questions. De toutes façons c’est anonyme, vous ne risquez rien.

    — Manquerait plus que je risque quoi que ce soit ! Quelle corvée ! Et vous avez vu toutes ces listes ? C’est assommant ! Amédée, dites à Rosalie de me préparer une carpe farcie pour mon retour au palais.

    Du coup le roi nu monte dans son SUV pour-sauver-la-planète, puis va à l’urne en traînant les pieds, et vote pour Joséphine Utile parce qu’il se dit que là où est l’utile, l’agréable n’est pas loin. Et l’agréable ça lui rappelle les carpes farcies.

  • Du coup, le roi nu saute sur l’occasion.

    Le roi nu aime le neuf. Le neuf ça brille, ça couine pas, c’est à la dernière mode, et ça tombe pas en panne au fond des bois. Le neuf c’est propre et ergonomique, ça répond à des besoins qu’on n’avait pas parce-qu’on ne savait pas, mais maintenant qu’on sait, c’est indispensable. Le neuf c’est rien qu’à nous ; on est sûr que des gens pas comme nous n’ont pas mis leurs mains pleines de doigts dessus. Avant tout, le neuf, c’est nouveau et disruptif, et le nouveau, c’est indispensable pour l’augmentation de la croissance du progrès universel. Bref, le roi nu aime le neuf parce-que c’est une pierre angulaire de son royaume Ordo et Incrementum.

    Ces derniers temps, le roi nu est bien embêté : Les poches des concisujets sont vides, et ils se rabattent sur l’occasion. Du coup, les manufactures de neuf tirent la langue au chat. D’autant qu’à force d’avoir fabriqué plein de neuf pendant des décennies, le royaume déborde littéralement d’occasion. C’est le problème, l’offre de neuf engendre mécaniquement une offre d’occasion, moyennant un léger décalage dans le temps. Et l’occasion manquant cruellement de tact compte-tenu de ce qu’elle doit au neuf, lui fait une concurrence féroce.

    Pourtant, depuis un moment déjà, les miministres ont développé une solution innovante pour tenter d’éradiquer la production pléthorique et inéluctable d’occasions : l’obsolescence programmée. Une invention remarquable d’inventivité qui permet à tout produit neuf de ne jamais devenir une occasion grâce à sa mort par suicide assisté par des directives anticipées dont les modalités ont été validées officiellement par le comité d’éthique royal neutre et indépendant. Grâce à cette innovation, on a pu accroître de façon énorme les volumes de neuf sans accroître l’occasion. Enfin pas tout à fait, car certains objets neufs ont échappé à l’obsolescence programmée. Et comme la croissance des objets neufs était énorme, ça en fait quand même pas mal qui sont passés au travers et ne se sont pas librement suicidés par consentement éclairé.

    Bref, les concisujets se rabattent sur l’occasion et les manufactures de neuf tirent la langue au chat.

    — Ça peut pas durer ! s’énerve le roi nu.

    Du coup, le roi nu décide de taxer l’occasion. Comme ça, ça va freiner l’occasion au bénéfice du neuf et faire, par la même occasion, rentrer des écus dans la caisse qui en a bien besoin pour l’économie de guerre pour-sauver-la-planète.

  • Du coup, le roi nu fait œuvre de mémoire.

    Encore une fois, le roi nu a oublié. C’est plus fort que lui, il oublie tout. Il ne sait pas à quand ça remonte, ses pertes de mémoire. Et c’est gênant pour avoir l’air sérieux vis à vis de ses miministres et de la cour. C’est important pour un roi d’avoir l’air sérieux pour être pris au sérieux surtout quand on veut mettre en place une économie de guerre. Si on n’est pas pris au sérieux, les miministres et les courtisanes rigolent en cachette. C’est paradoxal de rigoler pour se moquer de quelqu’un de pas sérieux ; ça a pas l’air sérieux mais c’est très sérieux au contraire. Si vous ne comprenez pas cette subtilité, vous ne pourrez jamais être miministre ni aller à la cour. Vis à vis des concisujets, ce n’est pas bien grave de ne pas avoir l’air sérieux car le roi nu a déjà perdu tout crédit depuis qu’il est nu comme un ver et que ses attributs royaux pendouillent publiquement.

    Ses pertes de mémoire, ça lui est arrivé à force de se projeter tout le temps vers l’avenir. A force de se projeter ça a dû lui faire des dégâts dans la caboche royale. Il faut dire qu’il est doué pour se projeter vers l’avenir parce-qu’il est jeune et que les jeunes, c’est notre avenir pour-sauver-la-planète, donc c’est logique. Mais son problème numéro un (outre les autres priorités des priorités comme l’emploi, sauver-la-planète et éradiquer-la-faim-dans-le-monde), c’est d’avoir l’air sérieux et c’est déjà pas facile quand on est jeune et qu’on zozote. Alors que les vieux, ça a l’air naturel chez eux, d’être sérieux.

    Du coup il en parle à son médecin des attributs royaux qui pendouillent :

    — Je n’ai plus de mémoire à force de me projeter tout le temps dans l’avenir, mais ça fait rigoler les autres. Qu’est-ce que je peux faire ?
    — Majesté, vous devriez en parler à votre miministre des médailles en laiton, c’est son rayon.

    Du coup, il demande conseil à son miministre des médailles en laiton qui lui dit qu’ils n’ont qu’à faire des commémorations pour faire œuvre de mémoire pour ne plus jamais oublier que plus jamais ça. Ce serait du meilleur effet.

    — Plus jamais ça quoi ? Demande le roi.
    — Aucune idée, j’ai oublié moi aussi, mais on s’en fout, l’important c’est d’avoir l’air. Surtout, lors de la cérémonie de commémoration, n’oubliez pas d’avoir l’air !
    — D’avoir l’air de quoi ?
    — D’avoir l’air de vous souvenir. Et pour ça, il faut avoir l’air sérieux. Vous voulez que je vous le marque sur un petit carton pour ne pas oublier ?

  • Du coup, le roi nu va au salon de l’exposition coloniale des vaches

    Le roi nu
    va au salon
    de l’exposition coloniale des vaches.

    La vache holstein numéro 488252
    primée pour ses
    35 litres
    quotidiens
    soit 11200
    annuels,
    génère parait-il
    fièrement
    à ce qu’on en sait
    à ce qu’on en croit
    à ce qu’on en dit,
    pour son patron
    un chiffre d’affaire
    de
    4480 écus par an
    et pour ses clients
    de calcium
    un budget
    annuel
    de 13664 écus
    tétécés

    Bravo !
    dit le speaker.
    Votre médaille du mérite
    colonial
    en laiton repoussé,
    Miss, trônera
    au-dessus du
    portail de la
    stabulation. Là
    à l’entrée de la
    salle de traite. Là
    même où le père
    de votre patron
    pépé, se
    pendit.

    Mais c’est oublié. Joie et bonne humeur. Buvons. Bovins. Salon.

    La vache holstein numéro 488252
    médaille au cou
    en laiton
    repoussé du mérite
    se fait flatter les flancs
    par le flatteur,
    vit au dépens,
    roi nu
    pendu
    (lui aussi)
    aux caméras
    de la
    ville monde
    en expansion
    coloniale.

  • Du coup, le roi nu bat des records

    Le royaume du roi nu bat des records. Par exemple les bourses royales battent des records et les échoppes engrangent des bénéfices records. Plein de trucs battent des records.

    Le battage de records est important dans la religion royale. Maintenir la foi des concisujets dans la croissance royale est à ce prix. Car les concisujets, terre à terre par nature, à l’amour préfèrent ses preuves, et à la croissance itou. Au fond d’eux, les concisujets savent bien que c’est des sornettes cette histoire de croissance royale perpétuelle. Comme pour l’histoire du mouvement royal perpétuel. Mais c’est si bon d’y croire !

    Du coup, pour stimuler la foi des concisujets, l’imprimerie royale édite depuis des années « la bible royale des records ». On y recense tous les records importants pour-sauver-la-planète et éradiquer-la-faim-dans-le-monde : l’homme au plus long poil de nez, le plus d’olives sur une pizza royale, l’œuvre d’art la plus chère d’un artiste mort dans la misère, ou le plus long séjour sobre dans un tonneau.

    Aussi, tous les quatre ans, la religion royale organise une grande fête des records nommée « les olympiqués ». Cette année encore, les olympiqués s’apprêtent à battre des records en veux-tu en voilà, pour prouver qu’il n’y a pas de limites. Pour prouver qu’il n’y a pas de limites, il suffit de passer les bornes. Il suffisait d’y penser !

    — Majesté, ce serait bien que vous aussi battiez un record cette année.

    Amélie est la miministre des sur-piqués. Elle s’inquiète de la baisse d’entrain des concisujets pour célébrer l’édition imminente des olympiqués.

    — Si vous battiez vous-même un record, cela créerait un effet d’entraînement certain, Majesté, d’autant que nous avons réquisitionné tous les créneaux des raradios, tétélés et téternettes royales. Le taux de pénétration des cerveaux disponibles sera optimal.

    Du coup, le roi nu se creuse la tête pour savoir quel record il pourrait battre, mais n’en trouve aucun. Du coup, cette année, il va battre le record du roi le plus sifflé dans un stade1.

    1. Le record historique en vidéo : https://www.youtube.com/shorts/-P1790Lzv98 ↩︎
  • Du coup le roi nu se fait dégrader la note

    Ce matin le roi nu s’est réveillé fâché. Comme chaque matin, son majordome lui apporte ses journaux avec son petit déjeuner au lit.

    « L’agence Maussade’s dégrade la note du Roi », lit-on en gros titres à la une de tous les journaux.

    — Comment ? Moi, le roi, on me dégrade la note ? C’est n’importe quoi, je suis en pleine forme !

    Du coup, le roi nu fait venir au palais son miministre des gros écus.

    — Bruno, qu’est-ce que c’est que cette histoire de note ? Et d’abord pourquoi on me note ?
    — Majesté, c’est l’un de vos aïeuls archevêque exorciste1 qui institua de noter tous les concisujets du royaume. Vous savez que l’ordre est l’un des principes fondateurs de votre royaume. La devise du royaume n’est-elle pas Ordo et Incrementum ?
    — Oui, je sais. Ordre et Croissance. Le croissant au beurre est notre blason. Et alors ?
    — Noter les concisujets permet de les mettre dans l’ordre, poursuit le miministre des gros écus. C’est un grand progrès pour l’ordre. Je vous rappelle que l’ordre est propre, contrairement au désordre qui est sale.

    Le roi nu ne voit pas en quoi cette notation des concisujets le concerne. Depuis tout petit, on lui a expliqué qu’il est le roi, universellement identifiable grâce à ses attributs royaux qui pendouillent.

    — Bruno, je vous rappelle que je suis le roi, pas un vulgaire concisujet…
    — Non point, certes, Majesté. Vous êtes le roi, et à ce titre, vous êtes le numéro un du royaume.
    — Voilà qui est mieux. Poursuivez…
    — Depuis votre illustre aïeul, nous n’avons cessé de peaufiner et étendre les notes à de nombreux domaines, bien aidés en cela grâce à l’invention du tableur Excel ® qui est un bienfait pour faciliter la mise en ordre de tout et stimuler la compétition de tout envers tout pour optimiser les croissants au beurre. Nous pouvons féliciter mon collègue miministre des poids et mesures.
    — Bruno, venez-en au fait. Pourquoi on me dégrade la note ?
    — Les notes se sont répandues dans tout le royaume et sont devenues incontrôlables. Elles se reproduisent comme des lapins ! Des entrepreneurs astucieux se sont mis à faire du business grâce aux notes et c’est ainsi que sont apparues des agences de notations. Elles notent tout, y compris votre Majesté. Nous ne nous sommes pas formalisés car vous aviez une bonne note. L’une de ces agences, l’agence Maussade’s2 a trouvé malin ce matin de vous dégrader la note.
    — Foutez-les en prison ! S’écrit le roi nu.
    — Hélas, nous ne pouvons pas Majesté, ce serait dévastateur pour l’ordre et les croissants au beurre.

    Du coup, le roi nu est maussade.

    1. L’école française et l’invention de la note. Un éclairage historique sur les polémiques contemporaines https://journals.openedition.org/rfp/4899 ↩︎
    2. Moody en anglais signifie maussade. ↩︎
  • Du coup le roi nu veut réarmer les mocassins à glands

    Le mocassin à glands est une espèce en voie de disparition ce qui navre passablement le roi nu.

    Les naturalistes se perdent en conjectures pour expliquer sa raréfaction depuis quelques décennies. Le mocassin à glands ayant pour biotope privilégié les quartiers ouest des mégapoles, l’explication par les pesticides a rapidement été écartée. En revanche, l’excès de pollution aux particules fines est soupçonné, mais sans qu’un lien de cause à effet n’ait été à ce jour formellement établi, malgré le travail acharné des meilleurs laboratoires du royaume. D’autres pistes sont explorées, notamment alimentaires, certains scientifiques ayant observé une présence excessive de blé dans la panse des mocassins à glands entraînant une morbidité débridée.

    Du coup le roi nu se désole et convoque au palais le chef de l’Académie Royale des Seuils de Nuisances Acceptables.

    — Victor, je veux des résultats ! Dites-moi où en sont vos recherches ?

    — Majesté, nous tournons en rond. Nous ne parvenons pas à comprendre cette disparition inéluctable des mocassins à glands. À ce jour, nous n’observons plus que quelques rares spécimens âgés qui ont manifestement développé des résistances suffisantes à la grande époque ; mais les plus jeunes sont décimés par cohortes et nous sommes impuissants.

    — Pourtant, si je ne m’abuse, observe le roi nu, les glands ne se sont jamais aussi bien portés. J’en croise quotidiennement. A croire qu’ils sont devenus une espèce invasive. Vous conviendrez qu’il y a là un paradoxe mystérieux.

    — Effectivement, ce paradoxe ne nous a pas échappé. Nous n’en sommes pas moins impuissants.

    Le roi nu est songeur. Ces scientifiques semblent bien résignés à être impuissants. C’est qu’ils ne sont pas roi. Mais lui si. C’est le roi. Son devoir, sa nature, son destin, c’est d’être puissant, pas scientifique.

    Du coup, le roi nu annonce à la tétélé qu’il va lancer un grand plan de réarmement des mocassins à glands. Voilà, comme ça il n’est pas impuissant.

  • Du coup le roi nu roule en tracteur

    Depuis quatre ans, le roi nu se la pète dans son SUV 4×4 électrique tout blanc pour-sauver-la-planète. Les moments qu’il préfère, c’est l’été, lors des départs en vacances, quand il est dans les bouchons et que tout le monde le regarde d’en bas. Son SUV va tellement plus vite plus haut plus fort ! Lui il fait semblant de ne pas remarquer ; il tapote l’air de rien sur son GPS radio-connecté. C’est génial cet écran. On peut tout piloter à la fois! Du coup le roi nu tapote sur l’écran pour mettre un podcast écolo pour-sauver-la-planète, consulte les statistiques d’économie de gasoil grâce à son moteur électrique alimenté par six-cent kilos1 de batterie au lithium chilien, et monte un peu la climatisation à cause du vingt-sixième jour de canicule. Mais du coin de l’œil, il voit bien que les autres sont jaloux.

    — Ah ! Les bouchons ! C’est génial, dit le roi nu. Je me sens faire partie d’une communauté ! Je me sens proche de mon peuple !

    Mais depuis quelques temps, c’est devenu moins agréable parce-que plein de concisujets se sont mis à acheter des SUV 4×4 pour faire comme le roi nu. Du coup, encore plein d’autres concisujets ont été jaloux et se sont acheté plein de SUV 4×4 encore plus gros. Du coup le roi nu n’est plus au-dessus des autres dans les bouchons et c’est pas tolérable.

    Du coup, le roi nu s’achète un tracteur de trois mètres quarante-cinq de hauteur et trois mètres cinquante-cinq de largeur et quatre-cent-trente-cinq chevaux sous le capot pour-éliminer-la-faim-dans-le-monde. Et va tout content dans les bouchons sur l’autoroute.

    1. Une batterie de Tesla Y (juste la batterie) fait le poids d’une Renault 4 (4L). ↩︎
  • Du coup, le roi nu est jeune

    Ce matin, le roi nu s’est réveillé bizarre. Hier soir, il s’est pris les pieds dans le tapis du salon de la reine mère, et a atterri sur la table basse dans un pot de poudre de perlimpinpin que la reine mère aime sniffer pour s’ouvrir les chakras.

    Du coup, il va a la salle de bain, regarde son visage dans la glace. Et il est jeune !

    — Trop cool, je suis genre jeune, dit le roi nu.

    Du coup, il est super content parce-que dans son royaume, c’est cool d’être jeune. Personne ne sait pourquoi mais c’est cool. Personne ne sait depuis quand c’est cool. Avant, on disait plutôt que c’était bath mais c’était pareil. Bref, maintenant qu’il est jeune, il se sent genre super badass. Du coup, il décide de réunir un conconseil des miministres pour les rendre jaloux.

    A l’entrée de la salle du conconseil, le chef du protocole annonce de sa voix de stentor :

    — Madame la reine mère. Monsieur le miministre des gros écus. Monsieur le miministre des poids et mesures. Monsieur mon général-d’état-major-à-vendre. Monsieur le miministre des renseignements ni vus ni connus. Madame la cheffe maquilleuse-comptable de l’inspection générale des finances royales. Monsieur le miministre de l’agrobusinesswashing. Madame la miministre de la transition vers l’autre monde d’après…

    Le roi s’amuse bien de leur surprise de le voir si jeune à mesure que les miministres pénètrent dans la salle du conconseil. Le chef du protocole continue :

    — Monsieur le miministre des nouvelles officiellement débunkées. Monsieur le miministre de la balance à deux vitesses. Monsieur le miministre du monopole matraqual légitime. Monseigneur l’archevêque exorciste. Madame la miministre de la défiscalisation des Gaffammés. Madame la miministre des corps aptes au travail. Monsieur le chambellan des coïts royaux. Monsieur le médecin des attributs royaux qui pendouillent…

    — Mes chers miministres, commence le roi nu, je vous ai réunis pour vous dire que je suis jeune désormais.

    — Bravo, disent les miministres en chœur. Vous êtes trop badass majesté !

    — C’est un atout qui va renforcer notre royauté auprès de nos concisujets, continue le roi. Je vous demande de redoubler d’éléments de langages jeunes afin de montrer à nos concisujets comme nous sommes dynamiques, disruptifs et pleins d’espérance dans la transition du progrès durable vers l’autre monde d’après. Je prendrai ma part en intervenant moi-même ce soir à la tétélévision royale.

    — Trop badass, disent les miministres. Votre majesté est trop badass ! (Mais in petto, chacun sait que le temps ne fait rien à l’affaire1.)

    A la sortie du conconseil, le médecin des attributs royaux qui pendouillent demande à parler au roi en privé.

    — Majesté, dit le médecin, vous êtes-vous regardé dans la glace ?

    — Bien entendu, Olivier, c’est là que j’ai vu ce matin que je suis jeune. Pourquoi me demandez-vous cela ?

    — C’est à dire, hem, vous êtes-vous regardé en entier ?

    — Non pourquoi. Juste mon visage.

    — C’est à dire que, comment dire ?

    — Allons Olivier, ne tournez pas autour du trône.

    — C’est à dire qu’effectivement, votre visage est jeune, mais il est manifeste que vos attributs royaux qui pendouillent ne le sont pas. Et vous êtes toujours nu.

    Du coup, le soir, à la tétélé, le roi nu demande au réalisateur royal de faire un gros plan sur son visage. Du coup, les concisujets trouvent le roi très jeune. Du coup ils pensent être jeunes eux-mêmes. Ce soir. Jeunes. Rien qu’un soir. Et beaux à la fois.2

    1. Le temps ne fait rien à l’affaire. Georges Brassens. ↩︎
    2. La chanson de Jacky. Jacques Brel ↩︎
  • Du coup, le roi nu tape dans la caisse

    C’est entendu, pour mettre sous le tapis la co-pandémie de faillite géophysique, d’épuisement mental, et de débullage du pognon royal, le roi nu a décidé de faire une bonne guerre.

    Du coup, il fait venir au palais son général-d’état-major-à-vendre1. Le général est un grand amateur de breloques qui pendouillent qu’il exhibe fièrement sur sa poitrine. Du coup, il est très impressionné et jaloux du roi nu dont les attributs royaux pendouillent aussi (pour ceux qui ne découvrent le roi nu que maintenant)

    — Mes ancêtres ont toujours résolu leurs problèmes de rendements décroissants au beurre par une bonne guerre, moi aussi j’en veux une, dit le roi nu.

    Du coup, le général-d’état-major-à-vendre est content parce-qu’il en avait marre de cirer ses pompes et de passer à la télé pour mettre du beurre dans les épinards.

    — Majesté, dit-il au roi nu, le problème c’est que les usines à canons ont disparu comme de vulgaires usines à masques chirurgicaux.

    — Merde ! Encore ? Voilà que ça recommence ! Démerdez-vous, je veux une économie de guerre, là, maintenant, tout de suite, fissa et que ça saute !

    — Sire, je suis général-d’état-major-à-vendre, pas miministre des gros écus ni miministre des poids et mesures.

    Car toute guerre réclame une économie de guerre, et toute économie de guerre réclame du nerf de la guerre. Du coup, le roi nu fait faire à ses miministres des gros écus et des poids et mesures, un séminaire de team-builing avec du brainstorming et du benchmarking dedans.

    — Messieurs, je veux des idées pour dégoter au plus vite du nerf de la guerre, beaucoup de nerfs. Du nerf !

    — Majesté, nous avons trouvé. Il suffit de déshabiller Paul pour habiller Pierre, donner avec la main droite ce qu’on prend avec la gauche et rentrer par la fenêtre après être sorti par la porte.

    Du coup le roi nu décide de taper dans la caisse d’épargne des concisujets et de construire une économie de guerre à la place de chaumières sociales. Du coup, les concisujets se les gèlent dehors.

    1. Le général à vendre, chanson des frères Jacques, paroles de Francis Blanche. ↩︎
  • Du coup le roi nu fait un empaquetage de statue

    Happening à Excideuil. Empaquetage de la statue du maréchal Bugeaud, enfumeur d’Algérie.

    Sonnet pour Alice

    Enfumages omis, piédestal odieux,
    prédations coupables, et nous silencieux.
    Au milieu coule un bronze de nos flancs conquérants.
    Au pied les tout petits, trottent benoîtement.

    Ô grandeur minuscule, vos gloires putrescibles,
    vos progrès falsifiés, vos meurtres indicibles ;
    En aucun cas vous n’êtes modèle pour nous ;
    Le musée des horreurs de l’Histoire est pour vous.

    Et maintenant allons au devant de nos pères.
    De leurs traumas tapis dans les grottes obscures,
    tâchons de distiller, une eau fraîche, un air pur.

    Quant à vous écrivaine, méfiez-vous du lecteur,
    qui voit dans l’art de perdre trouvaille à gageure ;
    transmute sa lecture au cou d’un militaire.

  • Looking encore for Paul

    Carnet de voyage. Périgord Vert <–> Champagne. Juin 2023


    Connecté ou déconnecté ?

    Se déconnecter ; politique sanitaire personnelle indispensable. L’idée de se déconnecter ne date pas d’internet. Faire une retraite, c’est vieux comme le monde. Faire un pas de côté. Débrancher la routine. Utiliser l’itinérance comme parapluie anti-médiatique, et l’effort comme antidote à l’économie de l’attention. Laisser la solitude sédimenter les émotions accumulées au fil des mois, puis retrouver le désir de la vie sociale. Donner au silence le loisir de vider le trop plein de tout. Tâter ce que le minimum vital ouvre paradoxalement comme perspectives de vraie vie vivante.

    12 juin 2023. Voie verte de la Loire à vélo. Une sorte d’autoroute des vélos. Je croise et je dépasse des piétons, des joggeurs, des cyclistes. La plupart ont un casque sur les oreilles. Musique ? Podcast ? Conversation téléphonique avec la meilleure copine ?… Bien en amont de mes dépassements, je fais attention de faire sonner ma sonnette pour les prévenir et ne pas les surprendre. Ils n’entendent pas. Je recommence juste avant le dépassement. Ils n’entendent pas. Je dépasse, ils sursautent. J’aurais voulu les prévenir, entrer en communication, même subreptice ; signifier une bonne volonté de cohabitation, de partage d’un territoire et d’un plaisir commun, voire le sentiment diffus d’une résistance au monde comme il va. Mais ils sont dans leur bulle, déconnectés de moi, du chant des oiseaux, et probablement aussi de la lumière matinale sur la Loire, des odeurs de blé mêlées aux relents de vase d’un bras mort.

    Tribune

    Ça me saute de plus en plus aux yeux, le racisme, le sexisme, toutes les discriminations, ne sont qu’un moyen pour un groupe social de faire baisser le coût de la main d’œuvre à son profit. Capter la force de travail des esclaves, des bagnards, des femmes, des immigrés, des enfants, des non-censitaires. Qui est mal payé ? Qui en profite ?

    Tout le reste n’est qu’habillage cynique et hypocrite d’idiots utiles.

    Procès verbal. Fuck le Tour de France.

    Attendu que des effondrements écologiques majeurs sont en cours et que les dépassements de limites planétaires font l’objet d’un consensus scientifique,

    Vus l’article 1.1 de la loi sur les mystères de l’existence et l’arrêté 465 alinéa 3 du code de la survie universelle,

    Attendu que les inégalités sont identifiées comme cause des verrouillages socio-techniques qui empêchent toute transition vers une civilisation soutenable,

    Attendu que les valeurs de croissance et de consommation sont avérées ringardes et fallacieuses,

    Entendues les allégations green-washisantes affligeantes de la société ASO,

    Lu le rapport d’expertise relevant les aberrations suivantes de l’organisation du tour de France :

    • Esprit de compétition complètement puéril. Aucun effort n’est fait pour que tout le monde parvienne ensemble à destination. Au contraire la compétition engendre de nombreuses chutes. Les premiers n’attendent pas les derniers, comble du manque de savoir-vivre.
    • Caravane publicitaire de mauvais goût, inutile et nocive avec ses 6 millions d’objets distribués. Spectateurs traités comme des singes au zoo.
    • Absence de porte-bagages et de sacoches sur les bicyclettes. Impossibilité pour les coureurs de faire des courses sur le trajet ou de ranger un maillot de bain et une serviette pour pouvoir se baigner dignement dans les lacs et rivières.
    • Tenues légères des coureurs trop suggestives et affriolantes. Le cyclisme n’est pas un lupanar !
    • 744 véhicules motorisés pour 183 coureurs (soit 4 pour 1) se décomposant comme suit :180 camions. 470 voitures. 8 hélicoptères. 23 autocars. 63 motos. Manque plus que la patrouille de France !
    • Privatisation d’un commun immatériel et symbolique d’intérêt national (les paysages, les territoires, le patrimoine…) au profit exclusif d’un groupe capitaliste familial.
    • Invisibilisation coupable des zones industrielles et commerciales pour donner une image de carte postale tronquée. Les images diffusées omettent toujours le survol des Patateries, Flunch, Mc Donald’s et Buffalo Grill, pourtant fleurons du savoir vivre à la française.
    • Seul point positif : l’absence de dopage dans ce sport

    Par ces motifs, déclarons le slogan Fuck le tour de France grande cause nationale 2023,

    Décidons la nationalisation du tour de France,

    Décidons la modification des règles de course afin d’en supprimer toute notions de compétition et d’y introduire des notions d’entraide, de musique, de pauses gastronomiques et de baignades. L’itinéraire sera voté chaque matin en assemblée générale ce qui garantira un départ pas avant 16h,

    Décidons le remplacement de la caravane publicitaire par la fanfare de la CGT avec ouverture du cortège par le black bloc et fermeture par la gay pride,

    Interdisons le port des tenues en lycra,

    Obligeons les journalistes, les directeurs, les mécanos, les soigneurs, les politiciens, à couvrir l’évènement eux-mêmes à vélo,

    Interdisons les nuits à l’hôtel ; seules les nuits sous la tente sont autorisées.

    Dont acte.

    Le conseil des soulèvements du vélo. A l’unanimité.

    Point de bascule et inversion de la charge de la preuve

    Sur le trajet du retour, j’ai pris le train entre Reims et Orléans via Paris. J’ai fait Gare de l’Est – République – Bastille – Austerlitz à vélo. Cela faisait plus de trente ans que je n’avais pas fait de vélo dans Paris ! A l’époque, les bagnoles étaient les chefs et les vélos les subordonnées. Je me souviens comment, pour me faire respecter, je devais hameçonner le regard des automobilistes et les intimider en plissant les yeux comme Lee Van Cleef dans le bon, la brut et le truand.

    Aujourd’hui les vélos ont pris le pouvoir ; un pouvoir incontrôlable, bordélique, réjouissant. Les cyclistes se foutent de tout : des tracés des pistes cyclables où on veut les enfermer, des stops, des feux rouges, des sens interdits, des trottoirs et escaliers, des signalétiques en tous genre. Pour le provincial que je suis devenu, il a fallu un petit temps d’adaptation mais ce n’est quand même pas Calcutta ou Kinshasa.

    Les cyclistes n’en font qu’à leur tête car ils sont les rois et c’est ce que font les rois. Les vélos sont très nombreux, suffisamment pour surgir en permanence et non plus occasionnellement. Ils ont atteint la taille critique. Point de bascule préalable au modèle hollandais (cela prendra encore trente ans, quel retard !).

    Désormais j’ai vu les automobilistes obligés d’être hyper-vigilants, terrorisés par ces surgissements incessants. Retournement de la terreur. Terrorise bien qui terrorisera le dernier. Je confesse une certaines jouissance à ce constat.

    Cela paraît difficile à croire, mais la civilisation de la voiture a atteint son pic à Paris il y a quelques années au début du vingt-et-unième siècle. Elle n’est pas encore morte, mais la pente descendante est là. Les politiques publiques ont le pouvoir de retarder ou favoriser les points de bascule. J’espère que les municipalités à venir enfonceront le clou pour faire de Paris une ville essentiellement cycliste. Plus les vélos feront la loi, plus ils seront nombreux, plus les voitures seront terrorisées, moins les gens prendront leur voiture, plus ils prendront le vélo. C’est une guerre de territoire menée sur plusieurs décennies.

    Looking encore for Paul

    J’étais reparti pour chercher Paul.

    Mes huit-cent bornes de l’an dernier m’avaient rapporté une fortune : une adresse près de Reims et un numéro de téléphone. Mais tous ces derniers mois, je n’ai pas appelé Paul. Peur du téléphone. Déjà de visu, je ne suis pas toujours bavard. Téléphon, piège à con.

    Néanmoins, en montant sur selle à la descente du train à Vierzon, je me suis dit que cette année, pas d’improvisation, j’appellerais quelques jours avant. Lundi, je laisse un message sur le répondeur. « – Je viens chez toi vendredi ou samedi, rappelle-moi ». Mardi, Sologne, forêts. Mercredi, Loing, céréales. Pas de nouvelles. Jeudi, Brie, fromage. Rien. Plat pays, faut vraiment avoir quelqu’un à aller trouver ! Je rappelle. Rien. D’accord, ce numéro qui commence par zéro-neuf est une voie sourde de garage, un trou noir numérique, une ligne de cuivre désaffectée, un résidu du passé antérieur aux téléphones mobiles, une option box superfétatoire offerte la première année puis trente-neuf euros quatre-vingt-dix-neuf par mois la deuxième avec trois-cent-vingt-quatre chaînes de télé incluses.

    Décidément, il est écrit que je dois te retrouver en présentiel et à l’improviste. En même temps, un road-trip sans piment, ça s’appelle une croisière organisée ; pas vraiment mon truc. Qu’il en soit ainsi. Re-roule ma poule.

    C’est une sensation bizarre de vouloir retrouver un pote d’enfance. C’est un risque, je le sais bien. J’ai plein d’amis pour lesquels j’ai décidé de ne pas prendre ce risque. Balance bénéfice-risque déficitaire. Mais je ne sais pourquoi, Paul, c’est différent. Pourquoi ? Je tourne la question depuis des mois. A la longue, je me suis dit qu’on s’en fout des pourquoi. Ça me rappelle les « pourquoi vous avez décidé d’adopter ? ». Tellement impossible de répondre. Les mots et les idées ont des limites ; il faut les reconnaître incompétents dans certains domaines. Et pourtant cette injonction sociale permanente du pourquoi me poursuit.

    Vendredi, Champagne, vignes. Je m’installe au camping d’Épernay histoire de prendre une douche. S’agit d’être un peu présentable demain. Merde, c’est blindé de camping-cars. Toute la fine fleur de la beaufitude retraitée européenne du nord s’est donnée rendez-vous pour jouer au riche et faire des dégustations de la pisse-à-bulle locale. Effectivement, à la paillote, on promet ce soir un verre de champagne offert avec le menu steak frites à quinze euros…

    Samedi matin, Jour J pour retrouver Paul. C’est parti pour la traversée de la montagne de Reims. Après deux-cent bornes sans descendre sur le petit plateau, ça va le dérouiller. Je me dis qu’ils sont bien prétentieux d’appeler ça une montagne. M’enfin, c’est vrai que ça cogne un peu de monter dans les vignes. Je scrute les vignerons au travail. Je vais peut-être tomber sur toi au hasard. Tu t’es peut-être acheté un petit arpent bien placé que tu fais fructifier grâce à ton savoir-faire. C’est peut-être toi dans la camionnette blanche qui arrive en face et tu vas peut-être me reconnaître ? Ça va être rigolo ! – Ben qu’est-ce que tu fais là ! – Rien, j’avais juste envie de te voir…

    C’est pas toi.

    A vrai dire, dans les vignes, j’entends surtout parler en langues inconnues. Les jeunes ne veulent plus travailler ma bonne dame, on est obligé de faire venir la main d’œuvre d’Europe de l’Est. Ici aussi, comme dans le mâconnais, on travaille surtout à la main. Je vois ces gars cassés en deux sous le cagnard. Ils doivent gagner un demi-SMIC. Peut-être au black. Pour faire du champagne qu’on vendra à des émirs du Koweït pour remplir leurs baignoires en marbre avec robinetterie en or massif. Je me trompe ou quelque-chose ne tourne pas rond sur la planète ? J’arrive au sommet. Je bascule sur le versant nord. Plaine de Reims en vue.

    J’arrive dans ta banlieue. Je vais manger dans un parc d’abord, je ne veux pas débouler pendant ton déjeuner si vous êtes en famille. Treize heure trente, j’arrive à ta maison. C’est tout fermé. P… ! Tout ça pour ça. Ils sont partis pour le week-end si ça se trouve. Bon restons calme et positivons, mon enquête a avancé : Sur la boîte aux lettres, ton nom, mais aussi celui de ta femme. Tu es donc marié. Première nouvelle. J’ai l’impression d’être un détective privé ; le Colombo à bicyclette dirait ma carte de visite. Je me réinstalle à l’ombre dans le parc. J’interroge Google au sujet de Madame. Google est plus bavard à son sujet qu’au tien. Réflexologue en libéral. Numéro de portable professionnel, c’est bon ça, c’est fiable. Je reprends espoir. J’appelle. Boîte vocale. « – Bonjour, je suis Grégoire, un ami d’enfance de Paul [blabla] je fais un tour à vélo [blabla] est-ce que tu peux lui passer mon numéro et lui demander de me rappeler ? ».

    Je m’allonge sur le banc. Il n’y a plus qu’à attendre. Sieste. Dix minutes passent. Le téléphone sonne. Mon cœur bat la chamade. « – Bonjour, c’est la gendarmerie de Nontron, vous êtes bien adjoint ? On n’arrive pas à joindre madame le maire ni le premier adjoint, on nous a signalé des vaches dans le bourg sur la route de Nontron. – OK je m’en occupe. – Allô Gilles ? T’as des vaches sur la route de Nontron. ». Raccroche. Sieste. Non mais. Dix minutes passent. Téléphone sonne. Cœur bat. « – Salut papa, c’est Jonel. C’est pour le 30 juin [blabla]. – D’accord on fait comme ça ». Raccroche. P… ça fait quatre jours que j’avais pas reçu de coup de fil, faut que ça tombe maintenant ! Sieste. Dix minutes. Sonne. Bat. « – Allô, c’est Paul ! [rires]. Rendez-vous chez moi dans cinq minutes »

    Retrouvaille. Embrassade. Terrasse. Boire quelque-chose ? Ouais. Depuis combien de temps ? Dix-huit ans ? La vache. Alors comme ça t’es marié ? T’as des enfants ? Quel age ? Et ton frère, et ta sœur ? Ah ! Mais du coup, le Morvan c’était en 88, on avait plutôt 16 ans…

    C’est bien Paul. Ça fait du bien.

    J+1. Mission accomplie. Départ pour le retour, je remonte sur mon vélo direction la gare. Quelques heures plus tard, je tue le temps au jardin des plantes en attendant un train à Austerlitz. Paris est un naufrage, les parisiens des automates. Je repense à Paul. Le Paris de notre enfance, celui dont nous étions pleinement propriétaires puisque natifs, celui dont nous parcourions l’usufruit quotidiennement en métro, en roller, en vélo, nous l’avons troqué il y a belle lurette à de nouveaux parisiens contre une fortune : la province. En les regardant faire leur jogging à la queue-leu-leu au jardin des plantes, j’ai mauvaise conscience ; on les a bien entubés. Des troupeaux entiers de nouvelles têtes de veaux sont venues s’agglomérer et Paris a continué à s’enfoncer dans la pollution, la vitesse, l’écume de vie, la misère. Je m’assoupis sur un banc.

    Flash ! Ça y est, je sais pourquoi Paul c’est différent. Je me souviens, je visualise, je rembobine, je reformule mon enfance : Paul, c’est pour moi un cousin d’adoption, un genre de frère de lait, puis un complice en émancipations. C’est rare, et différent, et important, voilà tout ; voilà pourquoi j’ai fait mille-six-cent bornes.

  • Du coup le roi nu sèche

    Le roi est toujours nu comme un ver. Il a pourtant consulté les meilleurs experts du royaume : un médecin youtubeur, un polytechnicien radioactif, un général en retraite sauf à la télé, Maître Marabout Coffy rebouteux magnétiseur médium extralucide, la cheffe maquilleuse-comptable de l’inspection générale des finances royales, un archevêque exorciste. Rien n’y fait, le roi est toujours nu, à poil, en tenue d’Adam.

    Du coup, sa majesté a décidée de s’installer en son château de campagne du Périgord Vert ; la vie y est plus tempérée qu’au palais royal, les obligations mondaines moins pressantes. Tout est plus lent et convivial ; aux marchés de Nontron ou Piégut, les concisujets périgourdins sont très accommodants envers la nudité du roi car déjà très proches eux-mêmes de l’état de nature.

    Cet hiver, les nappes phréatiques du royaume se sont vidées faute de se remplir. Les conconseillers du roi nu le pressent d’accélérer les innovations disruptives de pompages tous azimuts dans des méga-bassines afin de préserver les rendements croissants au beurre dans les épinards du P.I.B.

    Mais le roi nu est déjà loin de tout ça. En prenant le soleil à la terrasse de l’entente cordiale à la fête de printemps d’Abjat, une pinte de Périgord Beers à la main, le roi nu trinque avec l’adjoint Stewart. Il raconte ses années d’école primaire à Saint-Martial-de-Valette et les souvenirs traumatisants causés par son institutrice d’alors, mademoiselle Camille :

    — Elle nous donnait des problèmes mathématiques terribles, du genre : « sachant qu’une méga-bassine perd 5000 hectolitres par heure et se remplit dans le même temps de 400.000 cm³ par jour, si et seulement si la canicule n’en évapore pas les deux-tiers, à quelle date faudra-t-il fermer la centrale nucléaire rouillée ? ». Ou encore : « Sachant qu’un gendarme à jeun peut tirer 0,2 grenades à la secondes, au bout de combien de temps, en années, aura-t-il recouvert de douilles plastifiées la totalité, en centiares, de la surface agricole utile (SAU) du pays ».

    Ce genre de problèmes scolaires a toujours provoqué des nœuds au cerveau du roi nu. Du coup le roi sèche. Du coup le roi boit. Comme un trou. Un trou de bassine. Un trou tout nu, avec des attributs qui pendouillent et trois-mille gendarmes autour.

    Du coup le lendemain, le roi se réveille au château avec la gueule de bois. C’est le moment que choisit son miministre de l’agrobusinesswashing pour solliciter une entrevue :

    — Majesté, nous aurions urgemment besoin que vous signiez l’autorisation de disrupter les nappes phréatiques pour emplir les méga-bassines et garantir à l’avenir la continuation des solutions qui ont prouvé leur échec.

    Du coup, le roi nu signe le décret car il sait que sa dynastie repose sur sa garantie de pouvoir librement continuer les solutions qui ont prouvé leur échec.

  • Oraison funèbre de Chris

    Et maintenant, puisque c’est ainsi, va.

    Va. Vogue sur la mer des rhizomes, aux confluences des océans d’humus.

    Étanche ta soif aux ornières, aux mousses, aux rosées perlières, aux pluies diluviennes.

    Fais-toi fouir une nuit par une harde affamée ; console un vieux solitaire la suivante.

    Écoute le chant lancinant des myriades invisibles échafaudant leurs turricules ;

    Descends les galeries des entrailles jusqu’à retrouver la roche mère ;

    Pose ta joue sur son cœur. Vide ton sac. Pleure. Tête. Pleure. Dors.

    Éveille-toi neuf, vierge, nu, naïf, inconscient, ébahi, confiant.

    Fais-toi happer par les mycorhizes et coule-toi hilare dans la sève irrépressible jusqu’aux plus hautes frondaisons du monde.

    Éclate dans les bourgeons du printemps, étale-toi peinard dans les feuilles torides de l’été, vole en freeride au gré des vents de l’automne. Et retourne encore et encore te lover au creux de la roche mère.

    Puisque c’est ainsi, te dit-elle, dorénavant, nous chuchoterons toi et moi, à qui veut l’entendre, les mystères de la vie, de la mort, de la vie, de la mort, de la vie…

  • Le bureau de Grand-père

    Toujours, quand on y entrait, ça nous prenait aux tripes ce silence… comme une interdiction absolue de débordement de vie. C’était un silence moisi à cause de l’odeur des vieux papiers entassés du sol au plafond et ce volume astronomique de manuscrits et de vieux journaux nous coupait le souffle. Nous qui ne jurions que par les parties de cache-cache et les sacs de bonbons, chaque irruption dans le bureau de grand-père provoquait un affaissement de nos capacités vitales.

    Grand-père souriait. Il était content de nous voir, je ne peux pas dire qu’il n’était pas affectueux, mais dans ses yeux subsistaient les abysses des mondes passés dans lesquels il était plongé une seconde auparavant. Grand-mère nous donnait toujours la consigne d’ouvrir la porte délicatement et de marcher sur la pointe des pieds pour ne pas le déranger. Elle disait « il faut lui laisser le temps de revenir ».

    Un jour, une seule fois, il a levé la main pour nous signifier qu’on pouvait rentrer mais qu’il ne fallait rien dire et ne pas bouger. Je ne sais pas combien de temps nous sommes restés à le regarder travailler, dans un état d’absorption tel que je me suis senti moi-même absorbé. Une nouvelle sensation. A bien y réfléchir, vingt ans plus tard, je pense que je suis toujours un peu absorbé. Ce fut un tournant.

  • ¡ Les grues pasarán !

    Germaine s’amuse d’observer le deuxième clocheton de l’église d’Augignac, bizarrerie architecturale de l’Histoire, appendice à la fois prétentieux et dérisoire, stigmate de l’harmonie des siècles et témoin des vicissitudes humaines. Depuis des années, à chaque migration automnale, elle en a fait non pas un point de repère, elle n’a pas besoin de ça, mais une occasion de casser la routine du vol et de sourire un peu dans un quotidien éprouvant.

    Ses voisines de voyage s’en foutent, s’appliquant machinalement à rester dans l’appel d’air de celle de devant et grouant à qui-mieux-mieux pour se rassurer quant à leur appartenance nationale. – Quand on a autant besoin de se rassurer, songe Germaine, c’est que c’est des conneries cette histoire de nation !

    Germaine est rebelle et rêveuse, ce qui lui vaut régulièrement les remontrances du groupe, car ses rêveries provoquent des incartades qui foutent le bordel dans le plan de vol général et des cassures dans la chaîne de droite en particulier. La colonelle pique des colères noires, disant que ça nous fait perdre quatre pourcent de rendement et que si ça continue, on n’arrivera pas à Oran avant novembre. Et elle ajoute : « Pour celles qui arriveront ». Toutes le grues jettent alors des regards noirs en direction de Germaine qui s’en fout magistralement et pense in petto « Vous êtes vraiment toutes des greluches, on s’en fout d’Oran, on n’aura qu’à passer l’hiver en Andalousie ». De toute façon, c’est le moment pour Germaine de faire un crochet en solo par Excideuil avant de retrouver le groupe du côté de Lalinde. Les autres grues sont soulagées disant que ça va leur faire des vacances.

    Germaine est l’héritière d’une tradition vieille de douze générations de grues et presque cent-quarante ans. C’est une aïeule anticoloniale qui l’a instituée à la fin du dix-neuvième siècle et la tradition ne fut interrompue qu’entre 1962 et 1970. Cela consistait à aller chier chaque année sur la tête de la statue du maréchal Bugeaud place d’Isly à Alger. La tradition aurait pu s’éteindre en 1962 quand la statue a disparu, mais le hasard a voulu que le vent de l’automne 70 déroute les grues vers Excideuil et que l’arrière-arrière grand mère de Germaine reconnaisse la statue qui avait été ressuscitée dans cette bourgade du Périgord Vert.

    Dimanche 23 octobre 2022. Germaine chie fièrement sur la statue du maréchal, pense à ses ancêtres, et soulagée du devoir accompli, met les bouchées doubles pour rejoindre Lalinde. L’an prochain, elle recommencera et se fera accompagner par sa fille pour lui transmettre l’héritage, la fierté et le devoir, jusqu’à ce que le conseil municipal d’Excideuil, souverain ignare, veuille bien enfin déclasser Bugeaud au musée des horreurs de l’Histoire.

  • La méga-bassine

    L’hiver, la méga-bassine se remplit d’orgueil et de corruption. Sangsue de la terre, elle suce la sueur, les larmes et l’amour des hominidés ; elle pompe la luxuriance et la postérité du reste. De tout le reste. De la totalité du reste. De l’absolue totalité du reste. L’hiver, la méga-bassine matraque tout ce qui bouge et pompe tout ce qui passe à sa portée.

    L’été, la méga-bassine dilapide l’héritage universel et se vide de sa bile aseptique pour assouvir son dessein désertique. Obstinément, savamment, consciencieusement, elle recouvre de cendres grises l’avenir et le passé du jardin d’Éden. Psychopathe, elle lapide, lacère, éventre, éviscère, dépiaute, assèche, pille, estropie. Estropie trop.

    Des gens sont venus, bariolés, bruyants, assoiffés, déterminés. Ils ont pété les grilles de la méga-bassine, pété les pompes à fric, pété les cordons de CRS, les cordons de la bourse ; ils ont dansé dans le vent de la saison inconnue, bu jusqu’à l’aube des temps nouveaux, planté les étendards de la sagesse, de la joie et de la générosité dans nos trois mornes plaines de la sécurité, de l’opulence et de la morosité.

  • La case de l’oncle Phil’

    Ce matin-là, oncle Philippe sortit de sa case à l’heure où le soleil levant fait sa toilette dans le Niger, accrochant son boubou (le soleil, pas oncle Philippe) au baobab de la famille Traoré. Oncle Phil’, c’est comme cela que nous l’appelions, se frotta les yeux, s’étira, et se moucha dans son mouchoir légendaire aux allures de nappe de pique-nique. Après quoi, comme chaque matin, il alla se baigner dans le fleuve.

    Oncle Phil’ disait que sa case était ronde comme la mairie d’Ambert et pointue comme un chapeau chinois, bref que c’était un chef d’œuvre typique de notre architecture malinké. Le torchis des murs logeait son lot de margouillats et le chaume du toit des colonies de tisserands, de sorte qu’oncle Phil’ qualifiait alternativement sa case de « ma colocation » ou de « mon château en Périgord », ce qui, pour nous qui n’étions jamais allé plus loin que la mosquée de Kangaré, était magique et mystérieux.

    Dans la case de l’oncle Phil’ on trouvait :

    une flûte à bec

    une flûte alto

    une clarinette

    un joli saxo

    On trouvait aussi :

    un gros dictionnaire

    du papier carbone

    une Bible bréviaire

    une loupe à miro

    Tous ces objets nous impressionnaient bigrement, nous ses neveux, quand nous entrions dans la case de l’oncle Phil’. Mais l’objet qui forçait le plus notre respect, qui nous coupait le souffle, celui qui conférait à oncle Phil’ un statut social que nous n’atteindrions certes jamais nous-même, mais dont nous ne nous privions pas de nous prévaloir au village, l’objet donc qui trônait sur le mur au-dessus de son lit, c’était un fusil Chassepot 1866 avec baïonnette, cartouches, et tout l’attirail d’entretien connexe dans ses étuis en cuir. En la présence de ce fusil, finies les blagues de sales gosses du genre : quelle est la couleur du boubou blanc d’oncle Phil’ ? Ou : Quelle est la contenance, en hectolitres, de son bol de petit-déjeuner ?

    Ce fusil fut la télévision de notre enfance. Il suffisait de prononcer son nom et c’était comme un

    interrupteur, oncle Phil’ nous racontait des histoires. Ce Chassepot savait faire défiler sa vie sur nos écrans intérieurs de façon si nette et colorée, que curieusement pour un instrument de mort, parce-qu’il avait accompagné oncle Phil’ partout dans le monde pendant quatre-vingts ans, il était en quelques sortes devenu en vieillissant la Vie elle-même et tous deux ne faisaient qu’un. Assis sous le manguier devant sa case, oncle Phil’ et son fusil nous projetaient des images de bateaux écarlates aux cheminées diaboliques, de tranchées boueuses, de camarades héroïques, d’antipodes luxuriants, d’escales à Madras ou Valparaiso, de foyers Sonacotra et d’usines Berliet, et plus récemment, de retour au pays natal, de chasses aux derniers tigres.

    Ce matin-là, comme chaque matin, oncle Phil’ revint du fleuve Niger éternel plus jeune que la veille. Comme chaque matin, il pénétra dans son « château en Périgord » pour commencer sa journée en démontant, graissant et remontant son Chassepot. Chaque pièce avait son emplacement attitré et comme dans un bon scénario, j’avais compris que l’acmé était incontestablement l’étape du brossage de la culasse. Mille fois, je l’avais regardé faire religieusement. Et c’est vrai que chez l’oncle Phil’, je peux en témoigner, l’opération relevait littéralement du sacré et de la survie existentielle. Si le fusil ne chassait plus depuis belle lurette, le rituel d’entretien, lui, demeurait.

    Ce matin-là, oncle Phil’ me fit signe d’entrer, posa le fusil sur le bureau et me dit que je l’avais suffisamment observé ; que c’était à moi désormais de graisser le Chassepot. Ce que je fis et fais encore chaque matin à l’heure où le soleil levant fait sa toilette dans le Niger, accrochant son boubou au baobab de la famille Traoré.


  • Le déserteur et le mercenaire

    Ils sont là à papoter, faisant connaissance. Moi je les connais. L’un est déserteur, l’autre mercenaire. De la guerre économique. Mais le déserteur ignore que le mercenaire est mercenaire et réciproquement. C’est bizarre à observer du coin de l’œil, un déserteur et un mercenaire qui font connaissance. C’est bizarre et ça fait un peu peur. J’aimerais entendre ce qu’ils se disent. Je suppose que comme nous tous, ils commencent par la périphérie, des banalités, pour ne pas effrayer l’autre ; les enfants, les voyages, le travail.

    Pendant ce temps, les kafégüzels, notre miracle musical local, nous irradient de leur talent et de leur générosité. Ils disent que les amours germent là-bas sur les versants de la mer monde, entre les cueilleurs de raisins et les bergères de chèvres. Ils disent que les amours sont contrariées par les pères, les maris, les amants, les hidalgos, et que les filles ne savent où reposer. Ils disent que les matriochkas se cachent par timidité dans les jupes de leur mère mais que cette timidité cache un appétit féroce.

    Mon déserteur et mon mercenaire continuent de causer. Je suppose que par effet de force centripète, chacun se dévoile de plus en plus. Une conversation, à chaque tour d’oignon, enlève une pelure. A quel moment en auront ils épluché suffisamment pour comprendre qui est vraiment leur interlocuteur ? Je me demande s’ils ont déjà compris que d’un certain point de vue, ils sont l’exact négatif de l’autre.

    Les kafégüzels jouent, frappent, chantent, voyagent dans nos cœurs. Ils disent que la beauté est une ambition atteignable et prouvent que c’est ça la bonne direction. Les étoiles filent sous la voûte nontronnaise. Le déserteur et le mercenaire ont aimé le concert.

  • Narcisse in the sky with diamonds.

    Un soir, tandis que la Dronne se baigne dans les aulnes qui se penchent sur l’eau pour voir le ciel, et que le ciel s’accroche aux étourneaux pour ne pas s’envoler corps et âme dans le firmament, le firmament glisse à pas de velours pour passer incognito sous les satellites d’observation.

    Le satellite géostationnaire gravitationnel Musk 2413, collecteur communicant de big data à intelligence itérative haute définition, s’observe dans la rivière, se penche pour mieux s’admirer, et tombe en pluie incandescente.

    Requiem aeternam, chantent et rient et dansent le firmament, les étourneaux, les aulnes, la rivière.

  • Le futur premier Homme

    Alors je te le dis, ami,
    la main sur l’épaule :
    Allons, courage, résistons.
    Allons courage, bâtissons.
    Allons courage, chérissons
    la vie
    l’amour
    le vent
    le sel
    les cœurs qui battent
    sous la peau
    les poils
    les plumes
    les coquilles, les écailles ;
    depuis la nuit des temps,
    notre condition est la même.
    Malgré les artefacts du crédit de la modernité,
    ne nous en déplaise prétentieux.
    Et pourquoi cela ne suffirait-il pas ?
    Par les temps qui courent,
    si tu souris, tu résistes,
    si tu danses, tu es dissident,
    si tu paresses au soleil, tu es ennemi de la nation,
    si tu ouvres tes bras,
    tu seras le dernier Homme,
    et c’est un beau défi ;
    pas pire que ceux de nos ancêtres
    serfs
    chasseurs
    esclaves
    mineurs ;
    pas pire que nos contemporains lointains,
    à l’espérance de vie d’un tiers.
    Et tu seras peut-être
    le premier Homme,
    et c’est un beau défi.

  • Looking for Paul

    Carnet de voyage à vélo. Périgord Vert <–> Mâconnais. Mai 2022.


    Tutoriel

    Attention, ce tutoriel ne fonctionne que pour les voyageurs à pied ou à vélo.

    – Ciblez un petit camping municipal, pas un camping privé.

    – Entrez dans le camping après 20h après que généralement, l’employée municipale chargée de l’accueil, soit rentrée chez elle.

    – Installez-vous avec naturel, plantez la tente, profitez des douches, des WC, faites la lessive du jour, rechargez votre téléphone dans une prise des sanitaires.

    – Bonus. Sympathisez avec un voisin camping-cariste qui fait un barbecue. À la question « vous venez de loin ? », ne lésinez pas sur les kilomètres et intéressez-vous presque sincèrement à ses récits de voyages, notamment celui où il vous raconte qu’il a fait les Cévennes et les gorges du Tarn en 2004 quand le tour de France passait à Sainte Énimie mais que la petite avait vomi toutes ses saucisses rapport aux virages.

    – Acceptez l’invitation à dîner de votre nouvel ami et prenez la mesure que chaque saucisse ou bière offerte est conditionnée à l’écoute attentive d’un nouveau récit.

    – Après le sixième récit sur l’été étonnamment pluvieux 2013 dans le Cotentin avec vue sur l’usine de retraitement nucléaire de la Hague, prenez congé de votre hôte, arguant de votre état de fatigue bien compréhensible et allez vous coucher.

    – Levez-vous tôt, remballez vos affaires, prenez votre petit déjeuner, brossez-vous les dents et faites le plein de vos gourdes.

    – Quittez les lieux avant 7h30 de préférence, avant l’arrivée de l’employée communale. Triez-vos déchets à la sortie du camping.

    – Si par hasard, vous tombez sur une employée communale, matinale et vénale, informez-là avec tact, sans vexation, mais avec une certaine autorité morale, du récent décret « compensation carbone » issue de la loi cadre « climat et résilience » qui prévoit de rendre gratuits tous les campings municipaux pour les voyageurs itinérants à pieds, à cheval, à vélo ou en bateau à voile, chaque commune étant concommitament autorisée pour rentrer dans ses frais et par mesure compensatoire dite « carbone », à modifier sa grille de taxes de séjour en levant une « taxe carbone additionnelle » sur les caravanes et une « taxe super-carbone » sur les camping-cars.

    – Profitez des dix secondes de perplexité de l’employée communale pour faire un beau sourire, souhaitez une bonne journée, et lancez-vous vers de nouveaux horizons et campings généreux.

    – Chantez « on the route encore » aussi fort et longtemps que nécessaire pour feindre de ne pas entendre l’employée communale.

    Épistolaire creusois

    Madame la présidente du Conseil départemental de la Creuse,

    Traversant actuellement votre magnifique département au cours d’un voyage à bicyclette entre le Périgord et le Mâconnais, je me régale sur certaines de vos routes départementales, de voir les bas-côté non fauchés en cette deuxième quinzaine du mois de mai. Quelle richesse de fleurs sauvages aux couleurs chatoyantes rendant les montées moins éprouvantes !

    J’ai eu le loisir d’observer également comme cette luxuriance permet d’abriter une petite faune en pleine forme, en particulier de magnifiques lézards verts.

    Je ne peux donc que vous encourager à continuer à favoriser ainsi les fauchages les plus tardifs possibles. J’ai pu constater que sur les axes les plus passants, cette politique n’était hélas pas mise en œuvre. J’espère qu’elle pourra l’être l’an prochain.

    Veuillez agréer, Madame la présidente du Conseil départemental de la Creuse, l’expression de ma considération respectueuse.

    La pollinisation des boîtes à livres.

    La prolifération des boîtes à livres dans les bourgs, c’est génial pour les voyageurs légers. Un bourg, c’est tous les vingt kilomètres.

    J’ai emporté « une année à la campagne » de Sue Hubbell. Quand je l’aurai fini, je le laisserai dans une boîte à livres. Pas encore fini, je tombe sur une boîte à livres et embarque un Bernard Clavel. Le soir, je termine Sue Hubbell. Le lendemain, je le dépose dans une boîte à livres. Le soir, Bernard Clavel m’emmerde. Le lendemain, je le pose dans une autre boîte à livres et emporte « le poney rouge » de Steinbeck et un autre que j’ai oublié. Je lis le « poney rouge » et me lasse à la moitié. Je laisse mes deux livres dans une autre boîte à livres et prends un Dany Laferrière prometteur « L’art presque perdu de ne rien faire ». Quelques jours plus tard, le finissant dans le train entre Montluçon et Limoges, je le proposerai à un wagon perplexe et méfiant par tant d’incongruité, à l’exception d’une jeune femme en robe verte et sandales à semelles plates manifestement ravie d’une expérience si anticonventionnelle.

    Puisqu’il est entendu que des livres ont changé des vies, que la rencontre d’un auteur et d’un lecteur est une alchimie insondable et imprédictible, je trouve terriblement excitant de déplacer des livres, ajoutant du chaos à la théorie du chaos. Si un vol de papillon déclenche un ouragan de l’autre côté de l’océan, n’est-ce pas tentant de souffler sur le papillon ?

    Re : Épistolaire creusois

    Monsieur,

    Je vous remercie chaleureusement pour le témoignage que vous portez à l’occasion de votre passage dans notre département. Très sensible aux enjeux de la biodiversité, notre département met effectivement en place une politique de réduction des cycles de fauches. Nous sommes tenus néanmoins d’assurer la sécurité des automobilistes, c’est pourquoi nous ne pouvons étendre cette fauche tardive à tous les axes routiers.

    Veuillez agréer, Monsieur, l’assurance de nos sentiments dévoués.

    Tribune

    Pourquoi je suis contre le rétablissement de la peine de mort pour Bernard Arnault ?

    Je suis résolument contre le rétablissement de la peine de mort pour Bernard Arnault parce-que chaque être humain dispose d’une dignité inaliénable. Céder à la tentation de la peine de mort, c’est renoncer à l’idée même d’émancipation de tout être humain et le cas échéant, la mise en œuvre de la peine de mort affaiblit la dignité du bourreau et par extension celle de la société qui mène son bras.

    Pour cette raison, je suis contre le rétablissement de la peine de mort pour Bernard Arnault ainsi que pour Vincent Bolloré, Martin Bouygues, Thierry Dassault, Françoise Bettencourt, François Pinault, Xavier Niel, Arnaud Lagardère, Gérard Mulliez….

    Au commencement était le silence

    Partir en voyage à vélo, couper les médias, vivre en solitaire, cela ne m’a pas protégé du bruit. Bien que navigant dans la diagonale du vide, je n’ai presque jamais entendu le silence. La campagne ne se différencie pas de la ville de ce point de vue. Le silence, c’est quand on n’entend plus de moteur. Les oiseaux, le vent dans les feuilles, ce n’est pas du bruit.

    Mais même dans un pré isolé, le soir, quand les voitures sont devant la télé, que les tracteurs ont rentré le foin, que les déligneuses de scieries laissent sécher les grumes dans la torpeur du crépuscule, la disparition des bruits proches ne fait qu’ouvrir la fenêtre des bruits lointains : la grand’route, les avions de ligne en partance pour Sydney ou Montréal, les canons à gaz pour protéger les semis de ces salauds d’oiseaux immigrés qui veulent manger le pain des français.

    Il est excessivement rare que ne subsistent que les sons des oiseaux, grillons, grenouilles et craquements de branches. Dans un monde motorisé, la recherche du silence est un acte de résistance.

    C’est amusant, au cœur de la France désormais sans pratique religieuse, de trouver justement un réseau de résistance si bien réparti ; on tombe sur une église au pire tous les dix kilomètres, souvent cinq. Et quelle ironie de penser que les bâtisseurs des modestes églises de villages comme des collégiales élancées des villes, qui avaient le souci de l’acoustique grégorienne pour que les voix pussent monter sans cacophonie, ont inventé sans le savoir cette architecture, aujourd’hui la seule, où l’on peut jouir d’un silence respirant sans pâtir de la claustrophobie d’un casque ou d’un triple vitrage.

    J’aime imaginer un architecte d’alors, atterrir sur la route à la manière de Jacquouille la fripouille, paniqué par l’agressivité omniprésente des moteurs d’automobiles, tondeuses-débroussailleuses, avions à réaction et concasseurs de carrière. Il se réfugie dans son église, qu’il connaît par cœur pour l’avoir bâtie, reprend peu à peu ses esprits, et constate le grand bénéfice de cette autre vocation acoustique dans un contexte qu’il ne pouvait imaginer à la conception.

    Chercher le silence, le trouver, s’y acclimater , l’apprivoiser comme un renard. Aujourd’hui c’est un acte de résistance. Si le moteur est un pouvoir, les églises sont un contre-pouvoir.

    La lenteur, l’ennui, le dénuement médiatique, la désertion, la minutie, la simplicité, sont les grenades contemporaines de la subversion et de la résistance.

    Mais au commencement était le silence.

    Re : Re : Épistolaire creusois

    Madame la présidente,

    Je vous remercie pour votre réponse.

    Je suis touché par votre souci sincère d’assurer la sécurité des automobilistes. Je suis moi-même très sensible à la mienne en tant que cycliste. J’ai d’ailleurs pu constater les vitesses extravagantes des voitures et il me semble que le problème de sécurité que vous évoquez (la visibilité, je suppose), pourrait aisément être résolu en abaissant la vitesse des véhicules de 20 km/h sur tous les axes, ce qui permettrait avantageusement de garantir à la fois la sécurité routière, la baisse des émissions d’échappements, l’allongement de la durée de vie des surfaces de roulage, et la biodiversité si spécifique des bords de routes.

    J’imagine également les économies considérables de gasoil et de main d’œuvre qui en découleraient au crédit du budget départemental car je suppose que le réseau dont vous avez la charge se chiffre en centaines de kilomètres.

    Bien cordialement.

    Looking for Paul

    J’étais parti pour trouver Paul.

    Paul, c’est un vieux copain d’enfance. En fait, mon plus vieux copain, on a dû jouer au bac à sable, nos mères étaient copines. C’est avec lui que j’ai fait mon premier tour à vélo. Le tour du Morvan. On avait quatorze ans. A cette occasion, avec lui, ma première première gorgée de bière.

    Paul est le genre de gars pas facile à retrouver quand on a perdu sa trace. Pas dans l’annuaire et impossible de passer par la bande. Quand j’ai décidé de faire un tour à vélo cette année, je me foutais bien de savoir où j’irais ; qu’importe la direction pourvu qu’il y ait l’ivresse. Et puis, tiens ! Si je partais à la recherche de Paul !

    La dernière fois que je l’ai vu, c’était il y a quinze ou vingt ans. Il était vigneron dans le mâconnais, à Verzé. Voilà pour la piste. Roule ma poule.

    Alors une semaine de pédalage pour atteindre le mâconnais, ça laisse le temps de gamberger. Est-ce que ça va lui faire plaisir de me voir ? Est-il toujours avec la même copine ? A-t-il des enfants ? A-t-il pris de l’embonpoint comme moi ou est-il toujours mince ? A-t-il connu des accidents de la vie et lesquels ? Est-il devenu alcoolique ? Vais-je le trouver dans les vignes ou au chai ? Vais-je le rater parce-qu’il sera parti en voyage d’études au Chili ou en Californie ? Paul tu me manques. Nos mères nous échangeaient comme des chemises et nous étions toujours fourrés l’un chez l’autre. Nos pères nous engueulaient, surtout le tien. Maintenant qu’ils sont tous morts, comment saurais-je si tu l’es ?

    Jour J. Je descends à la Roche Vineuse et m’engage dans la vallée de Verzé. Frais et dispo pour un improviste périlleux. Je suis en vacances et toi tu trimes. Vas-tu trouver ça cool de me voir débarquer comme ça ? Bon, je te dirai que je n’avais pas le choix, comment voulais-tu que je m’y prenne ? Tu as sûrement un programme pour la journée. Je vais te déranger. Je vais t’inviter au resto à midi ou ce soir. Si tu n’as pas charge de famille. Si tu n’as pas autre chose de prévu. Si, si, si…

    Je reconnais à peu près le coin. Je monte dans les vignes, tombe sur un vigneron.

    – Bonjour, je suis à la recherche d’un gars qui s’appelle Paul et qui travaille chez Leflaive.

    – Leflaive, ils ont des vignes là (il me montre le versant en face), mais je les vois pas aujourd’hui. Sinon, ils en ont aussi là-bas et là-bas.

    Ici, les arpents valent de l’or. Chacun a un petit territoire jaloux et bichonné comme la pelouse de Wembley. Pas besoin de faire grand mais par contre, c’est tout à la main.

    Je vais donc au premier « là-bas » où je tombe sur deux gars et une fille qui remontent des rangs sécateurs au poing. Ça traîne pas. Clac, clac, clac, au suivant. Le soleil cogne. J’aime pas déranger les gens qui bossent. J’attends qu’ils redescendent un rang. Rebelote :

    – Bonjour. Je suis à la recherche d’un gars…

    – Leflaive, c’est les gars là-bas. La camionnette blanche.

    OK, je tends au but. Je tiens mon Paul. Ils sont quatre en haut du rang. Je n’ai pas la patience d’attendre, je remonte par le bord de la vigne, j’essaye de penser aux traits de Paul pour le reconnaître malgré les années (et lesquelles ! On change beaucoup entre 30 et 50 ans). J’arrive en haut. A priori, pas de Paul dans le groupe. Les mecs sont cassés en deux à sarcler à la houe comme j’ai vu faire dans les champs au Sénégal, sérieux. Un gars s’approche.

    – Bonjour, je suis à la recherche…

    – Paul ? Il ne travaille plus ici. Il est parti en 2014 (putain huit ans !). Il est parti en Champagne. Désolé, je n’ai même pas son numéro.

    Bon, ben je suis bon pour un autre voyage.

    Re : Re : Re : Épistolaire creusois

    Monsieur,

    Nous avons pris bonne note de vos remarques afférentes aux fauchages des abords des routes départementales.

    Nous ne pouvons malheureusement pas accéder à votre demande de limitation de vitesse. La vitesse de circulation de nos citoyens est un axe stratégique de la politique de croissance de notre territoire. Sans vitesse, pas de gains de productivité, sans gains de productivité pas de croissance, sans croissance pas d’emplois.

    Aussi longtemps que je serai présidente du Conseil départemental de la Creuse, je défendrai le pouvoir d’achat des creusois. Le mode de vie des creusois n’est pas négociable.

    Creusement vôtre.

    😉

  • Pour l’exemple

    La garnison de Garaison

    pendait ses gars en désertion

    pour l’exemple disait-on.

    Tant et si bien que rébellions

    s’en sont suivies jusqu’au colon

    qui consciencieuse imitation

    se pendit là laissant gros con

    le général sans troufion.

    Le général mourut marron

    de faim de soif et d’occlusion

    car bon à rien sans bataillon.

    Moralité de la chanson :

    L’exemple vaut pas un bon bouillon.


  • Du coup, le roi nu se fait sonder.

    Le roi nu a de lourdes responsabilités. Il faut faire tourner le royaume, sinon il s’arrête de tourner et tombe dans le trou intersidéral en vertu de la loi universelle de la gravité très grave. Le roi nu ne peut se permettre de perdre de temps en introspections. Il ne se connaît donc pas très bien lui-même. C’est un léger problème car il se trouve que se connaître soi-même est une condition préalable à la « connaissance de l’univers et des dieux ». Du coup, il ne les connait pas.

    Du coup, le roi nu se fait périodiquement sonder les attributs royaux afin de mieux se connaître. Les instituts de sondages introspectifs lui posent une sonde représentative d’un panel tiré au sort par une main innocente puis redressée par une marge d’erreur ; ça chatouille un peu, et le tour est joué. Avant, il se faisait tirer les cartes dans une boule de cristal frottée au marc de café, mais c’était obscurantiste. Maintenant qu’il est rationnel, il se paye des sondages. C’est pas donné non plus. Mais ainsi, il croit se connaître, il croit penser, il croit avoir du choix, il croit connaître l’avenir, il croit savoir s’il monte ou descend, et pour finir, il croit décider librement en conscience.

    Ces temps-ci, le roi nu se fait sonder tous les jours. Du coup, il est tout irrité. Décidément, le corps sacré du roi paye cher.

  • Fils rouges, fils bleus

    En haut du village, le jeune crieur monte sur le parapet du lavoir qui domine les toits et les jardins. A la même place que son père et son grand-père et d’autres avant eux. Ici, depuis des siècles, l’acoustique du milieu du jour se met au service du crieur. Et le crieur se met au service de la communauté. Il connaît son rôle. Il sait à quel point il détient le pouvoir d’alimenter ou éteindre les rancœurs et médisances ; de gonfler ou anémier les bonnes nouvelles et d’engendrer la joie voire la liesse ; de souder les âmes autour du chagrin pour transmuter les solitudes en destin commun.

    Le crieur a été initié à dix-sept ans. C’était hier.

    Chez les crieurs, c’est la mue de la voix qui décide. Pas question d’initier un jeune crieur tant que sa voix garde le moindre filet d’aigrillon ! Il faut patienter. Mais le jeune crieur ne perd pas son temps. Toute son enfance, il écoute. Il écoute son père poser sa voix sur le dos des toits vermoulus. Il écoute le rythme des syllabes s’intercaler aux coups de tranches dans les jardins. Il écoute les ondulations chantantes pénétrer les interstices des huisseries et interloquer les oiseaux.

    Le jeune crieur patiente.

    Son enfance durant, il écoute son père et son grand-père discuter à la soupe. Ils discutent des nouvelles qu’ils doivent transmettre demain : une naissance, un mariage, la maladie, la mort ; La conscription, l’élection, un recensement, des interdictions ; Les objets trouvés, un avis de recherche, une exposition, un départ au loin. Le père et le grand-père parlent des tenants et aboutissants de chaque nouvelle, car chaque nouvelle est tenue par des fils rouges de tenants, et bleus d’aboutissants. Et ces fils importent autant que la nouvelle elle-même.

    Le jeune crieur

    son enfance durant,

    écoute son père et son grand-père

    dénouer les fils des nouvelles

    avant de les lancer au vent.

    Le jeune crieur se racle la gorge, descend sa glotte. Il est prêt. C’est son tour.

  • Du coup le roi nu consulte une psy.

    Je suppose que la plupart d’entre vous êtes déjà au courant ? Non ? Le roi est nu ! Ah quand même, je vois que certains sont au courant. Vous étiez au courant ou pas ? Qui n’était pas au courant ? Levez la main. Bon ben maintenant vous êtes au courant. Et ben vous me croirez jamais ! Figurez-vous qu’on a appris à cette occasion que ses attributs royaux pendouillent. Si. Et c’est pas beau à voir.

    Alors, je sais, ça a engendré des polémiques.

    Par exemple j’ai entendu ici ou là des gars me dire : « Oui, bon, ton roi nu ; des attributs royaux qui pendouillent ; et alors ? Nous aussi on a des attributs qui pendouillent ! On en fait pas tout un plat de nouilles, de nos attributs qui pendouillent ! »

    Mais bon, quand même, c’est le roi !

    Et puis il y a des filles qui m’ont dit : « C’est bien joli ton roi nu. Mais tu parles jamais de la reine. Y’a pas de reine dans ton histoire. Ton roi nu est un sexiste pourfendeur de la cancel culture woke décoloniale éco-féministe intersectionnelle. »

    Alors non. Je veux m’inscrire officiellement en faux contre cette accusation. Mon roi nu n’est pas sexiste. La reine est l’égale du roi. D’ailleurs elle aussi a des attributs royaux qui pendouillent. Y’a pas de raison. Ben oui ! Et alors ? On va pas en faire tout un plat de nouilles !

    Est-ce qu’il y a quelqu’un dans cette salle qui n’a pas d’attributs qui pendouillent ? Voilà, on va pas en faire tout un plat de nouilles.

    Et puis il y en a d’autres qui disent : « Moi j’aime pas l’humour graveleux ». Non mais attendez. LE ROI EST NU PUTAIN ! NU ! Comment vous voulez pas être graveleux ?!

    D’ailleurs, je vous ferais remarquer : Gras / Graveleux / Grivois / Griveaux. Y’a une logique.

    Ou alors faut faire semblant de pas voir. « Le roi est nu ? Ah bon où ça ? Non mais de toutes façons ça me regarde pas. Le roi est nu mais moi, je continue ma petite vie… » Non ! Moi je dis que le roi est nu, et qu’il faut le regarder en face.
    Et puis il y en a qui disent : « ouh là là, ton roi nu, cette semaine, il était énervé ! »

    [S’énervant]. Mais non il est pas énervé ! Il est à poil, il se les gèle, tous les indicateurs du royaume pendouillent, la moitié des concisujets ne se rend compte de rien, l’autre moitié fait semblant de ne rien voir ; Et tous se foutent de sa gueule ! A part ça il est pas énervé, le roi nu.

    Bon ! Maintenant que toutes ces polémiques sont épuisées, venons-en au roi nu, à sa vie, à ses péripéties. Où en est-il le roi nu ? Et bien je vais vous dire, il est en pleine crise existentielle :

    Ce matin, le roi nu s’est réveillé la boule au ventre et se grattant les attributs royaux, se demande :

    — Pourquoi suis-je nu ? Qu’est-ce que j’ai fait au bon Dieu pour être nu ? Et puis d’ailleurs, qui suis-je ? D’où viens-je ? Où vais-je ? Pourquoi pendouill’-je sur cette planète ? Quel marionnettiste maniaque nous a pendouillés ici plutôt qu’ailleurs ? Et comment naquit cet émoi miraculeux qui par merveille mimétique a engendré que je me meuve ? Que je me meuve ! Quel émoi ! Comment se peut-il que je me meuve ? Et pourquoi se meut-il que je ne peuve ? Ou bien tout cela n’est-il qu’illusion ? Peut-être ne faisons-nous que pendouiller dans une matrice, qui elle même pendouille dans les limbes antérieures du big bang ?

    Et oui, je vous avais prévenu que le roi nu est en pleine crise existentielle… Du coup, le roi nu décide d’aller consulter une psy :

    — Docteur, je vais pas bien.

    — Je sais, j’ai vu. Vous avez la sensation d’être nu et de pendouiller.

    — [surpris] Exactement ! Comment avez-vous deviné ?

    — [Le regardant de la tête aux pieds]. Le métier. Un certain sens de l’observation.

    — Et d’après-vous c’est grave ?

    — De quoi ?

    — D’avoir la sensation d’être nu et de pendouiller ?

    — Non, vous verrez, on s’y fait. Comme dit le proverbe de Newton : Un tiens tu pendouilles vaut mieux que deux tiens t’es tombé et t’es pourri.

    — Quoi ?

    — Un tiens tu pendouilles vaut mieux que deux tiens t’es tombé et t’es pourri.

    — Tiens oui, c’est pas faux. J’y avais pas pensé.

    — Parlez-moi de votre enfance. A quand remonte votre sensation de nudité ?

    — Aussi loin que remonte ma mémoire, je suis nu et je pendouille. J’ai l’impression d’être né comme ça, c’est horrible.

    — Mais non, c’est pas horrible. Comme dit le proverbe de Lavoisier : Rien ne se perd, rien ne se crée, tout pendouille. Voilà tout !

    — Heu… Dites docteur, je vais pas mieux là…

    — Vous êtes trop pressé Majesté. Qui veut voyager nu ménage ses attributs qui pendouillent.

    — Vous aimez bien les proverbes, vous !

    — C’est vrai ! Comme disait mon beau-frère Maurice, « les proverbes, c’est l’art de pendouiller avec élégance. Les proverbes néologiques, c’est l’art de pendouiller en liberté ». Pensez-y. On se revoit la semaine prochaine ?

    — Merci docteur.

    Du coup le roi nu perplexe, rentre au palais dans son carrosse hybride électrique pour-sauver-la-planète. Cette histoire de proverbes néologiques lui trotte dans la tête. Une fois dans ses appartements, bien installé dans son rocking-trône, il se sert un kir royal dans un verre en cristal de la manufacture royale, accompagné d’une galette des rois flambée au Bourbon, et allume Radio Royale Inter. On y parle beaucoup d’un variant prénommé Omicron. « Omicron mais costaud ! » dit un outre-parleur qualifié de journaliste.

    Outre-parleur plein comme une outre
    tant va l’outre à l’info qu’à la fin elle se casse
    Outre-auditeur plein comme une outre
    à la fin coupe la radio et dit « ta gueule je me casse »

    Omicron donc, mais costaud. Un variant qui va tout clouer au sol : les avions de la compagnie Air Majesté, les bourses royales, et pire, pire ! il risque de clouer au sol la saison de ski et les séjours à Disneyland. Noël, même Noël serait en danger. Oui Noël ! C’est terrible ! Et attendez, il y a peut-être même pire : on risque de fermer les salles de fitness ! Terrible !

    Décidément, souvent variant varie songe le roi nu.
    Qui variera verra lui répond une petite voix intérieure.
    Variant qui roule n’amasse pas mousse, dit une autre voix.
    Au royaume des variants avariés, les vendeurs de vaccins sont rois, dit encore une autre.

    Du coup, grâce aux proverbes néologiques, la crise existentielle du roi nu prend une tournure ludique, ce qui, à défaut de retrouver l’insouciance, n’est pas une guérison à mépriser.

    Quand un proverb’ néologique
    De nos espoirs saisit le sens
    Il offr’ un espace ludique
    Malgré nos rêv’ d’insouciance

    Et si nos cœurs pendouillent’ au vent
    C’est que nos corps sont bien vivants
    Qui trop embrasse le destin
    L’esprit de fête mal étreint

    Quant à vous chers amis ruraux
    Mangez buvez chantez jouez
    Car loin de nous laisser tomber
    Nous pendouillons non sans culot

  • Du coup le roi nu organise une POC26

    — Mais faites quelque-chose, bordel !

    Le roi nu est impassible.

    — Vous voyez pas dans qu’on est dans la merde jusqu’au cou ?

    La jeune fille s’énerve.

    — Ça branle dans le manche de partout putain !

    Le roi nu fait mine d’être choqué.

    — Mais bordel, sors-toi les doigts !

    Le roi nu n’a jamais entendu pareil langage.

    — Putain d’enculé de boomer ! On aurait dû tous les congeler à la naissance ! Quel ramassis de vieux croûtons ! Tout ce qui vous intéresse, c’est vos couilles !

    Le roi nu ne comprend pas. Ça veut dire quoi boomer ? Il aimait bien les booms, ça lui rappelle sa jeunesse. C’était bien les booms, avec le quart d’heure américain, la boule à facettes, et surtout, les slows. Les slows… Les mains sur les hanches. Jamais retrouvé pareille émotion. Juste les mains sur les hanches ! C’est dingue quand il y repense.

    — Couille molle ! P’tite bite ! Bâtard ! Enculé ! Branleur !

    — Je ne peux pas vous laisser dire ça, répond le roi nu (c’est la phrase qu’il dit habituellement en pareil cas, prenant un air supérieur).

    — Et ben si Ducon, tu peux me laisser dire ça. Maintenant que c’est sorti de ma bouche, tu vas pas le faire rentrer espèce d’abruti. Tu piges connard ?

    Du coup le roi nu, flatté d’avoir été traité de branleur, organise une POC26 et y invite tous ses copains souverains des royaumes alentours. On n’arrive à rien par la contrainte, il faut du plaisir, songe-t’il, encore plongé dans ses souvenirs de slows et de hanches.

    Du coup le roi nu se fait plaisir dans un discours inaugural amphigourique :

    — Mes chers concisouverain.e.s, soyez les bienvenus à cette vingt-sixième Partie Onanique Collective. L’heure est grave, notre maison brûle et nous regardons la télé droit dans nos bottes. La situation m’oblige et c’est pourquoi j’ai souhaité nous réunir. En ces temps abscons, dans les limbes du monde d’avant et dans la géhenne du monde d’après, nous devons faire preuve d’audace et en cela, notre onanisme héréditaire doit nous servir de boussole, car qui veut voyager loin astique sa monture, ainsi, face aux défis de notre temps, et aux attentes légitimes de nos concisujets, il ne sera pas dit que nous sommes restés les bras ballants et les mains vides. Alors, mes frères et sœurs en souveraineté, astiquez, astiquons, et que cette POC26 passe dans les annales des temps postérieurs.

    — Branleur ! Boomer ! Fin de race !

  • Du coup le roi nu appuie sur le champignon

    Le roi nu s’éclate au volant de son bolide hybride débridé pour-sauver-la-planète. Il accélère à fond dans la ligne (extrême) droite, passe la quatrième, la cinquième, la sixième (extinction de masse), et perd sa pédale de frein dans le virage (de la croissance verte). Qu’à cela ne tienne, il décide de continuer d’appuyer sur le champignon (atomique).

    Car le roi nu aime beaucoup les champignons. Bien sûr dans son royaume, le plus connu est le cèpe, bon gros baveux des bois (et des omelettes, baveuses itou). Le roi aime aussi les mousserons, les girolles et les pieds de mouton (petit patapon). Mais sa champignonne préférée est depuis toujours la trompette de la mort (dont la renommée est bien mal embouchée).

    Trompette de la mort exquise
    belle entonnoire de profondis
    senteurs poivrées et enivrantes
    robe moirée, veuve aguichante

    C’est la saison des champignons (atomiques). Du coup le roi nu appuie sur le champignon (atomique) et veut qu’il en pousse partout (atomique). Des petits, des grands, des gros, des qui fuient (énurésie atomique). Du coup il vend aux concisujets plein de bagnoles (électriques), comme ça les concisujets consentiront plus facilement à appuyer sur le champignon (atomique).

    Chauffeur champion
    Appuie électrique
    Mignons champignons
    Atomiques magiques
    Trompettes au volant
    La bombe au tournant

  • Du coup le roi nu est plus cher

    Un roi nu bon marché est rare. Ce qui est rare est cher. Un roi nu bon marché est cher.

    Les concisujets aiment bien se payer le corps du roi pour se détendre. Moyennant une contribution modique, ils peuvent profiter de son corps nu pendant un instant, sous réserve bien sûr, d’enfiler quelque protection sanitaire. Accouplement éphémère mais vif, il permet au concisujet de soulager sa frustration de naissance, d’oublier la dureté du quotidien, de s’illusionner sur la maîtrise du cours de sa vie. Il ressort de la chambre rouge du palais, tout sourire, se vantant alentours : « Je l’ai bien entubé le salaud ! ». Et le chambellan des coïts royaux de crier « a coïté » en tamponnant le passeport coïtal.

    Le roi nu, de son côté, accepte sans rechigner ce rituel royal que d’aucun trouverait éprouvant. Mais les lois de la sélection naturelle et de l’adaptation des espèces ont doté la dynastie royale d’attributs génitaux astucieusement renforcés et insensibles, contrairement au commun des espèces (oui des attributs qui pendouillent, on a compris). Des ethnologues ont estimé environ à douze-mille passes par soirée, soit un peu moins d’un coït par seconde, la performance du roi nu. Des sociologues ont calculé qu’en moyenne chaque concisujet s’accouple au roi nu une fois tous les onze ans. Des psychologues ont déduit que onze ans est une fréquence optimisée de gestion des émotions liées aux frustrations issues des rapports de domination. Du coup, cette forme de socialité du régipatéticien, cousinage lointain des mœurs bonobos, permet au royaume de maintenir une certaine paix sociale depuis des lustres.

    Depuis quelques mois, le roi nu se réveille chaque matin de plus en plus en pénurie. Du coup, il est de plus en plus cher. Du coup, les concisujets vont au roi nu de moins en moins souvent (oui, dans le bas peuple, on dit « aller au roi nu » et pas « aller chez le roi nu »). Du coup, les concisujets ont de plus en plus de mal à gérer leurs émotions liées aux frustrations issues des rapports de domination.

  • Du coup le roi nu est candidat.

    Hier, le roi nu écoutait la radio royale et il a entendu plein de gens déclarer leur candidature. Tous ces gens donnaient l’impression d’être des gens très importants. Du coup, le roi nu s’est senti vexé parce-qu’à sa connaissance, il n’est pas candidat, mais il est important.

    Du coup il décide d’être aussi candidat. Non mais. Sans déconner. Du coup, il profite de croiser sa miministre de la transition vers l’autre monde d’après :

    — Dites-moi, Barbara ? A quoi tous ces gens sont-ils candidats ?

    — Aucune idée. Mais cela n’a aucune importance. Eux-mêmes ne savent pas. Comme disait le baron, l’important c’est d’être candidat. Inventez ce que vous voulez.

    Du coup le roi nu prépare sa candidature. Déjà, il commence à se sentir important.

    — Barbara, aidez-moi, à quoi pourrais-je être candidat ?

    — Il y a un truc qui marche bien en ce moment dans les panels d’analyse d’opinion, c’est candidat pour-sauver-la-planète. Ça permettrait de manger 3,5 points de parts de marché sur votre droite et 2,5 sur votre gauche tout en solidifiant votre positionnement marketing au-dessus des parties royales qui pendouillent.

    — Bof, répond le roi nu, pas convaincu. Notre truc, dans la dynastie, c’est plutôt la promesse de bourgeoisie.

    — Que diriez-vous de la bourgeoisie pour tous, Majesté ?

    — Excellent ! Ça me plaît. Très traditionnel et moderne à la fois. J’ai toujours rêvé de jouer de la triangulation dans l’orchestre.

    Du coup le roi nu déclame son discours de candidature à la télé. Les concisujets sont contents car il leur promet un pavillon de 85m2 avec un crépi lisse dessus, un chien qui fait caca sur le gazon tondu par un mouton électronique qui fait pas caca, un SUV blanc dans le garage avec un portail à télécommande pour pas sortir sous la pluie qui mouille, une semaine de queue au portique du téléski comme si t’étais dans le métro, un pèlerinage à Disneyland le week-end de l’Ascension de Mickey au paradis, un emploi de contrôleur de la consolidation des tableurs synchronisés dans le cloud, une cafetière domotique à triple percolateur latéral, un abonnement à vie à tous les contenus culturels de première nécessité comme la saison de ligue A de l’amour est dans la culotte…

    Du coup le roi nu est candidat. Comme ça, il se sent important.

    Candidats candides. Crapules cupides. Fétus fétides.

  • Du coup le roi nu se fait tester

    Le roi nu rêve depuis toujours d’emmener ses enfants à Disneyland. Il travaille dur et met de l’argent de côté depuis des années. Il en va de son estime de père, et plus, de ses chances d’aller au paradis en respectant le cinquième précepte de sa religion royale.

    — Le père qui n’emmène pas ses enfants en pèlerinage à Disneyland au moins une fois avant de mourir, est un bien piètre père, lit-on, en filigrane, sur la brochure.

    La religion royale a la particularité de ne se donner à connaître ni sous forme de paraboles, ni sous forme de versets, de sourates, de commandements, d’interprétations exégétiques, de dharma, ou d’épîtres. Elle se déploie sous forme de filigranes. Dans des brochures, des messages de toute sorte, et plus largement, s’insère astucieusement sous tout contenu médiatique. Cette spécificité canonique rend la religion royale particulièrement originale en ceci que, contrairement aux autres religions, la plupart de ses adeptes ignorent en être. Mais en sont. Tous. De près ou de loin. Qu’ils le veuillent ou non. Bon gré mal gré. En sont.

    — Mes enfants, le week-end prochain, on va à Disneyland ! S’exclame le roi nu.

    Du coup, les princes et princesses sont tout excités. Depuis le temps qu’ils tannaient leur père !

    — Voilà qui me réjouit, dit le roi nu. Pour une fois, vous n’êtes pas grognons. Cela me fait plaisir de vous voir si positifs. La positive-attitude, mes enfants, c’est l’attitude que j’attends de chacun dans mon royaume. C’est sur la positive-attitude que notre dynastie a fondé la prospérité de notre startup-royaume. Ne l’oubliez pas.

    Du coup, le roi nu et ses enfants se font refouler à Disneyland parce-qu’ils sont positifs. Du coup, ils veulent absolument devenir négatifs. Du coup le royaume devient un stopdown-royaume fondé sur la négative-attitude.

  • Du coup, le roi nu peut pas rentrer au palais

    Le vigile. Solide gaillard de deux mètres-zéro-deux, la trentaine, noir. Il avance sa main droite munie d’un smartphone. Professionnel.

    — Montrez-moi votre laissez-passer !

    Le roi nu. Tombant des nues.

    — Mais. Mais je suis le roi quand même ! C’est chez moi ici.

    Le vigile. L’air de celui qui en a vu d’autres.

    — M’en fous. Pas de laissez-passer, vous passez pas. C’est les ordres.

    Le roi nu.

    — Mais c’est moi qui donne les ordres !

    Le vigile. Ironique.

    — Sans blague ! Et c’est payé à l’heure ou à la pièce ?

    Le roi nu. Abattu.

    — Ce n’est pas drôle. C’est une charge harassante.

    Pendant ce temps, le vigile continue de flasher des QR codes d’invités en tenues de soirée. L’ambiance est à la fête.

    Le vigile. Sceptique.

    — De toutes façons, vous êtes pas le roi.

    Le roi nu. Incrédule.

    — Mais ! Comment ! Mais si ! C’est moi, voyons.

    Le vigile. Provocateur

    — Bien sûr. Et moi je suis blanche-neige.

    Le roi nu. Méfiant. Regardant à droite à gauche.

    — Ah non ! Je vous vois venir. Il y a une caméra ? Ne me faites pas passer pour un raciste. J’ai des amis noirs.

    Le vigile. Examinant le roi de la tête aux pieds.

    — Moi, ce que je vois, c’est un mec qui se ballade à poil sans laissez-passer.

    Le roi nu. Larmoyant et vaguement gêné.

    — Mais… et mes attributs royaux qui pendouillent, ce n’est pas une preuve ? Tout le monde les connaît de nos jours. Je suis passé à la télé.

    Le vigile. Mort de rire.

    — Ça ! N’importe qui peut s’acheter les mêmes à la Foirefouille à 4€99, tombé direct d’un conteneur chinois. Ça prouve rien. Ils font des imitations de malades les chinetoques. L’autre jour mon neveu a ramené un pistolet en plastique…

    Le roi nu. S’énervant. Il tente de forcer le passage sur le côté du vigile.

    — Maintenant, ça suffit ! Je suis le roi ! Laissez-moi passer !

    Le vigile. Repoussant le roi nonchalamment comme un doigt repousse une miette de pain sur la table.

    — Dis donc, la panoplie Foirefouille, si t’allais plutôt jouer avec Superman et son slip en lycra.

    Le roi nu.

    — Mais où vous vous voulez que j’aille ? Je ne connais que le palais ?

    Le vigile. S’en foutant royalement. Il continue de flasher les QR codes des autres invités. Arrive un couple en magnifique tenue de soirée, bagues et rangées de colliers.

    — Tiens, le comte et la comtesse de Pinault ! Entrez, soyez les bienvenus. L’orchestre autotuné se met juste en place.

    La comtesse dévisage le roi de la tête au pieds.

    Le vigile. À la comtesse, complice.

    — Je sais, c’est pas joli joli. Pas de QR code.

    La comtesse. En s’éloignant, soufflant à son mari. Comme il se doit, suffisamment fort pour être entendue.

    — Quelle honte ! Pas de QR code. Et tu as vu ces attributs ? C’est d’un kitch ! Quel mauvais goût !

  • Du coup, le roi nu veut devenir obligatoire.

    Avant, avec ses concisujets, ça roulait tout seul. Le roi nu n’avait pas besoin de se poser mille questions. La plupart des gens croyaient en son royaume d’abondance éternelle. Ce n’est plus le cas. Beaucoup n’y croient plus car la faillite géophysique du royaume est de plus en plus patente. Mais attention, ce n’est pas encore officiel.

    Tant qu’une chose n’est pas officielle, existe-t’elle ? Une croyance agonise, puis meurt, puis se présente au purgatoire des croyances, y demeure longtemps, puis seulement sa mort est rendue officielle. Elle repose alors enfin au paradis des croyances. Certaines ont un mausolée en or massif, d’autres un caveau en granit rose de Perros-Guirec, d’autres gisent entre quatre planches vermoulues dans le carré des indigents, d’autres enfin, enroulées ou pas dans des draps de lin, s’entassent dans la fosse commune (du temps). Les croyances, alors débarrassées de leurs obligations régaliennes, se révèlent aptes à l’autodérision collective. Elles rigolent bien entre elles, se remémorant leur naïveté d’antan.

    Du coup, le roi nu se sent fatigué, ralenti. Il a l’impression d’avancer péniblement dans une glaise lourde et poisseuse. Ses attributs royaux qui pendouillent lui pèsent aussi. Certains jours, il se dit qu’il s’en passerait bien. Le marketing royal, jadis si performant, s’est retourné contre le roi comme une arme incontrôlable.

    — Salauds de concisujets, s’exclame le roi nu. Je les ai segmentés à l’envi pour optimiser l’excitation de leurs stimulus maslowiens. J’ai investi dans un super marketing-mix multifonction à mille-quatre-cent boules pour leur cuisiner un royaume aux petits oignons !

    Mais à force de segmenter les concisujets, la reliance entre eux s’est évaporée et la croyance royale avec. Du coup, face à tant d’indifférence ou d’hostilité, le roi nu se demande s’il ne devrait pas devenir obligatoire. Car il croit que cela pourrait résoudre son problème. Il se demande. Il croit. Croyance. Purgatoire. Officiel. Mausolée. Fosse commune. A nouveau.

  • Du coup le roi nu s’envoie en l’air

    Le roi nu est tout excité. Ce soir il s’envoie en l’air. C’est pas tous les jours. Comprenez-le, la dernière fois c’était il y a cinq ans ! C’était d’ailleurs la première. Il en garde un souvenir impérissable. C’était merveilleux. Une incroyable sensation de peur et de sérénité mélangées. Et cette impression de toute puissance ! D’avoir une chance unique, pas comme le commun des mortels. Rien depuis cinq ans ! Comprenez-le, il est frustré.

    Du coup, il a tout bien préparé. Il a embarqué quatre-vingt-dix tonnes d’ergol liquide à brûler pour-sauver-la-planète, calculé sa trajectoire, checké la check-list, fait un sourire à la caméra comme stipulé par son contrat. C’est d’ailleurs un peu pour la blancheur de ses dents qu’il a été sélectionné pour s’envoyer en l’air. Du coup, il est fier et tous les concisujets du royaume sont fiers grâce à lui. Ils se disent qu’ils sont un grand peuple puisqu’ils ont réussi à envoyer un des leurs en l’air. Les belles-mères rêvent de l’avoir comme gendre, pour des raisons différentes des beaux-pères. Tout le monde rêve à travers lui de s’envoyer aussi en l’air. Et d’échapper à la vitesse foudroyante du hasard et à la gravitation harassante de la nécessité.

    Et hop, le roi nu s’est envoyé en l’air.

    Du coup, le roi nu est maintenant sur orbite à s’émerveiller de la beauté de la planète et à faire caca en apesanteur dans un sac plastique. De là-haut, il voit les choses autrement. Il trouve que la planète est fragile. Qu’on devrait arrêter de faire la guerre. Que ses enfants lui manquent. Que grâce à la recherche, on va faire un grand pas pour l’humanité. Qu’on est tous sur le même navire. Qu’il faudrait moins de pauvres et leur donner à boire de l’eau potable. Que le fromage lui manque. Que ses attributs royaux qui pendouillent sont bien peu de choses sans gravitation universelle.

    En même temps, comme c’est la deuxième fois qu’il s’envoie en l’air, ce n’est plus pareil. Il n’y croit déjà plus vraiment. Qu’a-t’on fait depuis cinq ans ? Qu’est-ce qui a changé depuis cinq ans ? … Et depuis soixante ans ?

    Du coup le roi nu s’est bien éclaté à s’envoyer en l’air, mais c’était pas pareil.