Carnet de voyage à vélo. Périgord Vert <–> Mâconnais. Mai 2022.
Tutoriel
Attention, ce tutoriel ne fonctionne que pour les voyageurs à pied ou à vélo.
– Ciblez un petit camping municipal, pas un camping privé.
– Entrez dans le camping après 20h après que généralement, l’employée municipale chargée de l’accueil, soit rentrée chez elle.
– Installez-vous avec naturel, plantez la tente, profitez des douches, des WC, faites la lessive du jour, rechargez votre téléphone dans une prise des sanitaires.
– Bonus. Sympathisez avec un voisin camping-cariste qui fait un barbecue. À la question « vous venez de loin ? », ne lésinez pas sur les kilomètres et intéressez-vous presque sincèrement à ses récits de voyages, notamment celui où il vous raconte qu’il a fait les Cévennes et les gorges du Tarn en 2004 quand le tour de France passait à Sainte Énimie mais que la petite avait vomi toutes ses saucisses rapport aux virages.
– Acceptez l’invitation à dîner de votre nouvel ami et prenez la mesure que chaque saucisse ou bière offerte est conditionnée à l’écoute attentive d’un nouveau récit.
– Après le sixième récit sur l’été étonnamment pluvieux 2013 dans le Cotentin avec vue sur l’usine de retraitement nucléaire de la Hague, prenez congé de votre hôte, arguant de votre état de fatigue bien compréhensible et allez vous coucher.
– Levez-vous tôt, remballez vos affaires, prenez votre petit déjeuner, brossez-vous les dents et faites le plein de vos gourdes.
– Quittez les lieux avant 7h30 de préférence, avant l’arrivée de l’employée communale. Triez-vos déchets à la sortie du camping.
– Si par hasard, vous tombez sur une employée communale, matinale et vénale, informez-là avec tact, sans vexation, mais avec une certaine autorité morale, du récent décret « compensation carbone » issue de la loi cadre « climat et résilience » qui prévoit de rendre gratuits tous les campings municipaux pour les voyageurs itinérants à pieds, à cheval, à vélo ou en bateau à voile, chaque commune étant concommitament autorisée pour rentrer dans ses frais et par mesure compensatoire dite « carbone », à modifier sa grille de taxes de séjour en levant une « taxe carbone additionnelle » sur les caravanes et une « taxe super-carbone » sur les camping-cars.
– Profitez des dix secondes de perplexité de l’employée communale pour faire un beau sourire, souhaitez une bonne journée, et lancez-vous vers de nouveaux horizons et campings généreux.
– Chantez « on the route encore » aussi fort et longtemps que nécessaire pour feindre de ne pas entendre l’employée communale.
Épistolaire creusois
Madame la présidente du Conseil départemental de la Creuse,
Traversant actuellement votre magnifique département au cours d’un voyage à bicyclette entre le Périgord et le Mâconnais, je me régale sur certaines de vos routes départementales, de voir les bas-côté non fauchés en cette deuxième quinzaine du mois de mai. Quelle richesse de fleurs sauvages aux couleurs chatoyantes rendant les montées moins éprouvantes !
J’ai eu le loisir d’observer également comme cette luxuriance permet d’abriter une petite faune en pleine forme, en particulier de magnifiques lézards verts.
Je ne peux donc que vous encourager à continuer à favoriser ainsi les fauchages les plus tardifs possibles. J’ai pu constater que sur les axes les plus passants, cette politique n’était hélas pas mise en œuvre. J’espère qu’elle pourra l’être l’an prochain.
Veuillez agréer, Madame la présidente du Conseil départemental de la Creuse, l’expression de ma considération respectueuse.
La pollinisation des boîtes à livres.
La prolifération des boîtes à livres dans les bourgs, c’est génial pour les voyageurs légers. Un bourg, c’est tous les vingt kilomètres.
J’ai emporté « une année à la campagne » de Sue Hubbell. Quand je l’aurai fini, je le laisserai dans une boîte à livres. Pas encore fini, je tombe sur une boîte à livres et embarque un Bernard Clavel. Le soir, je termine Sue Hubbell. Le lendemain, je le dépose dans une boîte à livres. Le soir, Bernard Clavel m’emmerde. Le lendemain, je le pose dans une autre boîte à livres et emporte « le poney rouge » de Steinbeck et un autre que j’ai oublié. Je lis le « poney rouge » et me lasse à la moitié. Je laisse mes deux livres dans une autre boîte à livres et prends un Dany Laferrière prometteur « L’art presque perdu de ne rien faire ». Quelques jours plus tard, le finissant dans le train entre Montluçon et Limoges, je le proposerai à un wagon perplexe et méfiant par tant d’incongruité, à l’exception d’une jeune femme en robe verte et sandales à semelles plates manifestement ravie d’une expérience si anticonventionnelle.
Puisqu’il est entendu que des livres ont changé des vies, que la rencontre d’un auteur et d’un lecteur est une alchimie insondable et imprédictible, je trouve terriblement excitant de déplacer des livres, ajoutant du chaos à la théorie du chaos. Si un vol de papillon déclenche un ouragan de l’autre côté de l’océan, n’est-ce pas tentant de souffler sur le papillon ?
Re : Épistolaire creusois
Monsieur,
Je vous remercie chaleureusement pour le témoignage que vous portez à l’occasion de votre passage dans notre département. Très sensible aux enjeux de la biodiversité, notre département met effectivement en place une politique de réduction des cycles de fauches. Nous sommes tenus néanmoins d’assurer la sécurité des automobilistes, c’est pourquoi nous ne pouvons étendre cette fauche tardive à tous les axes routiers.
Veuillez agréer, Monsieur, l’assurance de nos sentiments dévoués.
Tribune
Pourquoi je suis contre le rétablissement de la peine de mort pour Bernard Arnault ?
Je suis résolument contre le rétablissement de la peine de mort pour Bernard Arnault parce-que chaque être humain dispose d’une dignité inaliénable. Céder à la tentation de la peine de mort, c’est renoncer à l’idée même d’émancipation de tout être humain et le cas échéant, la mise en œuvre de la peine de mort affaiblit la dignité du bourreau et par extension celle de la société qui mène son bras.
Pour cette raison, je suis contre le rétablissement de la peine de mort pour Bernard Arnault ainsi que pour Vincent Bolloré, Martin Bouygues, Thierry Dassault, Françoise Bettencourt, François Pinault, Xavier Niel, Arnaud Lagardère, Gérard Mulliez….
Au commencement était le silence
Partir en voyage à vélo, couper les médias, vivre en solitaire, cela ne m’a pas protégé du bruit. Bien que navigant dans la diagonale du vide, je n’ai presque jamais entendu le silence. La campagne ne se différencie pas de la ville de ce point de vue. Le silence, c’est quand on n’entend plus de moteur. Les oiseaux, le vent dans les feuilles, ce n’est pas du bruit.
Mais même dans un pré isolé, le soir, quand les voitures sont devant la télé, que les tracteurs ont rentré le foin, que les déligneuses de scieries laissent sécher les grumes dans la torpeur du crépuscule, la disparition des bruits proches ne fait qu’ouvrir la fenêtre des bruits lointains : la grand’route, les avions de ligne en partance pour Sydney ou Montréal, les canons à gaz pour protéger les semis de ces salauds d’oiseaux immigrés qui veulent manger le pain des français.
Il est excessivement rare que ne subsistent que les sons des oiseaux, grillons, grenouilles et craquements de branches. Dans un monde motorisé, la recherche du silence est un acte de résistance.
C’est amusant, au cœur de la France désormais sans pratique religieuse, de trouver justement un réseau de résistance si bien réparti ; on tombe sur une église au pire tous les dix kilomètres, souvent cinq. Et quelle ironie de penser que les bâtisseurs des modestes églises de villages comme des collégiales élancées des villes, qui avaient le souci de l’acoustique grégorienne pour que les voix pussent monter sans cacophonie, ont inventé sans le savoir cette architecture, aujourd’hui la seule, où l’on peut jouir d’un silence respirant sans pâtir de la claustrophobie d’un casque ou d’un triple vitrage.
J’aime imaginer un architecte d’alors, atterrir sur la route à la manière de Jacquouille la fripouille, paniqué par l’agressivité omniprésente des moteurs d’automobiles, tondeuses-débroussailleuses, avions à réaction et concasseurs de carrière. Il se réfugie dans son église, qu’il connaît par cœur pour l’avoir bâtie, reprend peu à peu ses esprits, et constate le grand bénéfice de cette autre vocation acoustique dans un contexte qu’il ne pouvait imaginer à la conception.
Chercher le silence, le trouver, s’y acclimater , l’apprivoiser comme un renard. Aujourd’hui c’est un acte de résistance. Si le moteur est un pouvoir, les églises sont un contre-pouvoir.
La lenteur, l’ennui, le dénuement médiatique, la désertion, la minutie, la simplicité, sont les grenades contemporaines de la subversion et de la résistance.
Mais au commencement était le silence.
Re : Re : Épistolaire creusois
Madame la présidente,
Je vous remercie pour votre réponse.
Je suis touché par votre souci sincère d’assurer la sécurité des automobilistes. Je suis moi-même très sensible à la mienne en tant que cycliste. J’ai d’ailleurs pu constater les vitesses extravagantes des voitures et il me semble que le problème de sécurité que vous évoquez (la visibilité, je suppose), pourrait aisément être résolu en abaissant la vitesse des véhicules de 20 km/h sur tous les axes, ce qui permettrait avantageusement de garantir à la fois la sécurité routière, la baisse des émissions d’échappements, l’allongement de la durée de vie des surfaces de roulage, et la biodiversité si spécifique des bords de routes.
J’imagine également les économies considérables de gasoil et de main d’œuvre qui en découleraient au crédit du budget départemental car je suppose que le réseau dont vous avez la charge se chiffre en centaines de kilomètres.
Bien cordialement.
Looking for Paul
J’étais parti pour trouver Paul.
Paul, c’est un vieux copain d’enfance. En fait, mon plus vieux copain, on a dû jouer au bac à sable, nos mères étaient copines. C’est avec lui que j’ai fait mon premier tour à vélo. Le tour du Morvan. On avait quatorze ans. A cette occasion, avec lui, ma première première gorgée de bière.
Paul est le genre de gars pas facile à retrouver quand on a perdu sa trace. Pas dans l’annuaire et impossible de passer par la bande. Quand j’ai décidé de faire un tour à vélo cette année, je me foutais bien de savoir où j’irais ; qu’importe la direction pourvu qu’il y ait l’ivresse. Et puis, tiens ! Si je partais à la recherche de Paul !
La dernière fois que je l’ai vu, c’était il y a quinze ou vingt ans. Il était vigneron dans le mâconnais, à Verzé. Voilà pour la piste. Roule ma poule.
Alors une semaine de pédalage pour atteindre le mâconnais, ça laisse le temps de gamberger. Est-ce que ça va lui faire plaisir de me voir ? Est-il toujours avec la même copine ? A-t-il des enfants ? A-t-il pris de l’embonpoint comme moi ou est-il toujours mince ? A-t-il connu des accidents de la vie et lesquels ? Est-il devenu alcoolique ? Vais-je le trouver dans les vignes ou au chai ? Vais-je le rater parce-qu’il sera parti en voyage d’études au Chili ou en Californie ? Paul tu me manques. Nos mères nous échangeaient comme des chemises et nous étions toujours fourrés l’un chez l’autre. Nos pères nous engueulaient, surtout le tien. Maintenant qu’ils sont tous morts, comment saurais-je si tu l’es ?
Jour J. Je descends à la Roche Vineuse et m’engage dans la vallée de Verzé. Frais et dispo pour un improviste périlleux. Je suis en vacances et toi tu trimes. Vas-tu trouver ça cool de me voir débarquer comme ça ? Bon, je te dirai que je n’avais pas le choix, comment voulais-tu que je m’y prenne ? Tu as sûrement un programme pour la journée. Je vais te déranger. Je vais t’inviter au resto à midi ou ce soir. Si tu n’as pas charge de famille. Si tu n’as pas autre chose de prévu. Si, si, si…
Je reconnais à peu près le coin. Je monte dans les vignes, tombe sur un vigneron.
– Bonjour, je suis à la recherche d’un gars qui s’appelle Paul et qui travaille chez Leflaive.
– Leflaive, ils ont des vignes là (il me montre le versant en face), mais je les vois pas aujourd’hui. Sinon, ils en ont aussi là-bas et là-bas.
Ici, les arpents valent de l’or. Chacun a un petit territoire jaloux et bichonné comme la pelouse de Wembley. Pas besoin de faire grand mais par contre, c’est tout à la main.
Je vais donc au premier « là-bas » où je tombe sur deux gars et une fille qui remontent des rangs sécateurs au poing. Ça traîne pas. Clac, clac, clac, au suivant. Le soleil cogne. J’aime pas déranger les gens qui bossent. J’attends qu’ils redescendent un rang. Rebelote :
– Bonjour. Je suis à la recherche d’un gars…
– Leflaive, c’est les gars là-bas. La camionnette blanche.
OK, je tends au but. Je tiens mon Paul. Ils sont quatre en haut du rang. Je n’ai pas la patience d’attendre, je remonte par le bord de la vigne, j’essaye de penser aux traits de Paul pour le reconnaître malgré les années (et lesquelles ! On change beaucoup entre 30 et 50 ans). J’arrive en haut. A priori, pas de Paul dans le groupe. Les mecs sont cassés en deux à sarcler à la houe comme j’ai vu faire dans les champs au Sénégal, sérieux. Un gars s’approche.
– Bonjour, je suis à la recherche…
– Paul ? Il ne travaille plus ici. Il est parti en 2014 (putain huit ans !). Il est parti en Champagne. Désolé, je n’ai même pas son numéro.
Bon, ben je suis bon pour un autre voyage.
Re : Re : Re : Épistolaire creusois
Monsieur,
Nous avons pris bonne note de vos remarques afférentes aux fauchages des abords des routes départementales.
Nous ne pouvons malheureusement pas accéder à votre demande de limitation de vitesse. La vitesse de circulation de nos citoyens est un axe stratégique de la politique de croissance de notre territoire. Sans vitesse, pas de gains de productivité, sans gains de productivité pas de croissance, sans croissance pas d’emplois.
Aussi longtemps que je serai présidente du Conseil départemental de la Creuse, je défendrai le pouvoir d’achat des creusois. Le mode de vie des creusois n’est pas négociable.
Creusement vôtre.
😉